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"Qui craint le grand méchant loup, c'est pas nous, c'est pas nous..."
Normal, me direz-vous : depuis qu'il a perdu griffes, crocs et pelage, Bigby n'est plus que l'ombre de lui-même.
Mais méfiez-vous du loup qui dort : son mauvais poil et son flair légendaire ne sont jamais loin.
Il en aura d'ailleurs bien besoin pour résoudre la sordide affaire que Jack (sans ses haricots) vient lui ahaner sur le bureau : sa compagne, Rose (Rouge), la soeur de Blanche (Neige) a disparu, laissant derrière elle un appartement dévasté et maculé de sang...
Une nouvelle que Blanche, qui travaille dans un bureau voisin, n'apprécie pas vraiment : malgré ses mauvaises relations avec sa soeur, elle ne peut tolérer que cette disparition (et qui sait, cette mort ?) ne restent impunies. Forte de son statut de "Directrice des opérations", elle emboite donc le pas de Bigby sur les traces des suspects...
Un troll, Barbe Bleue, Boy Blue, le Prince Charmant ne sont pas très loin et émaillent les pistes de coup de sang ou de charme imprévus mais bienvenus pour faire progresser une enquête particulièrement difficile.
Mais dans quel univers de contes sommes-nous, me direz-vous ? Mais dans notre bon vieux monde à nous, dans "une ville imaginaire appelée New York".
"Jadis, nous vivions dans mille royaumes distincts, éparpillés sur une centaine de mondes magiques. Nous étions rois, cordonniers, sorciers ou sculpteurs. Nous avions nos pécheurs, nos saints et nos fieffés arrivistes. Et du plus grand seigneur à la plus humble paysanne, nous ne nous connaissions pas pour la plupart. Il a fallu... une invasion pour nous réunir."
La suite se trouve entre les pages du premier tome de Fables, de Bill WILLINGHAM et Lan MEDINA, avec lequel k.bd ouvrira son mois d'octobre sur le thème "il était une autre fois". Entendez par-là "les contes traditionnel revus et corrigés par la bande dessinée".
Difficile de mieux commencer qu'avec ce comic book à succès qui a su plonger dans le riche et séculaire bain littéraire des contes, légendes, comptines et mythes populaires de l'Ancien (surtout) et du Nouveau Monde pour en proposer une relecture moderne et dynamique (qui n'est pas sans rappeler les séries TV Once upon a time ou Grimm et qui s'inscrit dans la tradition du genre, à savoir faire du neuf avec du vieux !) : dans un monde qui pourrait être le nôtre évoluent, bien à l'abri d'apparences factices ou d'un havre retiré de tout, les créatures des récits d'antan.
Unis dans l'adversité, ayant balayé leurs travers et leurs différends (mais chassez le naturel...), ces exilés ont fort à faire autant pour continuer à cacher leur véritable nature que pour ne pas laisser leurs vieilles rancoeurs ressurgir.
Si ce premier tome se concentre surtout sur ce deuxième point, nul doute que les suivants mettront les Fables aux prises avec les Communs.
La matière est dense, le filon est riche, mais peut-être peut-on craindre son épuisement au bout des 22 tomes actuellement disponibles.
Ne boudons pas notre plaisir toutefois, car celui de Bill WILLINGHAM est communicatif : piochant dans une interminable galerie de personnages, il construit une enquête solide (menée à la manière forte et résolue avec une mise en scène très "agathachristienne") dans laquelle ses deux héros, Bigby et Blanche Neige, exécutent un exquis pas de deux : la sauvagerie de l'un, la détermination de l'autre, le tout sur fond de préparatifs du Gala du Souvenir, constituent une détonnant cocktail qu'on sirote jusqu'à la dernière goutte.
Bien sûr, le Prince Charmant est tête à claque et Barbe Bleue s'attire très vite notre antipathie. Mais malgré ces quelques travers, le tout est de fort bonne facture, original et prenant, teinté d'un humour bienvenu et maîtrisé ("T'as détruit ma maison... Tu me dois bien ça ! _ C'est du passé. Et j'ai fait que disperser quelques bottes de paille.").
A priori doté d'une solide culture, le scénariste atteint parfois la grâce et la qualité d'un Alan MOORE mêlant avec bonheur codes et icônes de différentes cultures.
Au crayon, Lan MEDINA abat un travail de bonne facture bien que classique. Il offre un découpage efficace, des cases parfois riches de détails inutiles mais indispensables et se plaît à habiller d'arabesques certaines bordures.
Alternant cases dépouillées et fonds débordants, il campe des personnages solides et très expressifs mais peut-être parfois un peu raides.
Fables nous propose une histoire relativement originale dont un des intérêts est, par ses innombrables références, de nous permettre de nous plonger ou replonger dans des histoires méconnues et surtout d'imaginer ce qui va bien pouvoir arriver à tous ces personnages aux destins immuables.
Plaisant exercice de style qui trouve peut-être ses limites dans la profusion.
Affaire à suivre, donc.
Champimages qui racontent, qui racontent...