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Au crépuscule du XVI°s (donc à deux pas de l'aube du XVII°...) le Japon connut un basculement de son histoire féodale : la bataille de Sekigahara entre Ieyasu Tokugawa et Mitsunari Ishida marqua la fin de l'époque Sengoku (laissez les boules de cristal en dehors de tout ça !) et le début de l'époque Edo.
Parmi les milliers d'âmes qui participèrent au fracas des armes qui avait ébranlé l'histoire, deux silhouettes un peu craintive, un peu hagardes.
"Takezo gisait au milieu des cadavres. Il y en avait des milliers.
"Le monde entier est devenu fou, songeait-il vaguement. L'homme ressemble à une feuille morte, ballottée par la brise d'automne."
Lui-même ressemblait à l'un des corps sans vie qui l'entouraient. Il essaya de lever la tête, mais ne parvint à la soulever que de quelques centimètres au-dessus du sol. Jamais il ne s'était senti aussi faible.
[...]
Soudain, l'un des corps voisins leva la tête :
- Takezo...
[...]
La voix, il en avait la certitude, était celle de son meilleur camarade. Il rassembla toutes ses forces pour se soulever légèrement, et, dans un chuchotement à peine audible à travers le déluge de pluie :
- C'est toi Matahachi ?"
Takezo Shinmen et Matahachi Hon'iden, deux adolescents, deux amis de toujours, deux apprentis guerriers dépassés par l'horreur de la guerre et par l'infâme trahison dont leur seigneur avait été victime.
Ne leur restait comme unique objectif et attache que leur village natal, Miyamoto. Mais la longue route y conduisant passait par bien des tentations. Matahachi, malgré son mariage à venir avec la belle et jeune Otsu, s'arrêta en route dans les filets d'une jeune veuve aguicheuse.
Furieux, abandonné, Takezo poursuivit sa route en solitaire.
Mais l'accueil qu'on lui réservait n'était pas celui escompté : la vieille et acariâtre Osugi Hon'iden, mère de Matahachi, ne toléra pas de voir le jeune homme (qu'elle n'avait jamais porté dans son coeur) revenir sans son fils.
"Le misérable ! Il aura laissé notre pauvre Matahachi mourir quelque part ; après quoi, il sera furtivement rentré sain et sauf. Un lâche, voilà ce qu'il est ! [...] Il ne m'échappera pas !"
Lui qui pensait retrouver la paix auprès des "siens" (en tout cas ceux auprès desquels il avait passé sa courte vie) se retrouva donc chassé, fugitif obligé de défendre sa peau au prix du sang. Chaque goutte en appelant une autre, chaque mort alimentant un peu plus les désirs de vengeance...
Dans cet océan de violence et de sentiments exacerbés - colère, vengeance, amour... - n'émergeait qu'un îlot imperturbable et tranquille : le moine Takuan Soho. "Un homme assez jeune qui [...] portait un simple pagne, et sa peau hâlée rayonnait comme l'or mat d'une vieille statue bouddhiste."
Et voilà.
Le décor est planté : une pays encore déchiré par des guerres ayant remodelé son visage à jamais.
Les personnages y ont pris place, mus par de puissants élans sans aucun doute légitimes mais ravageurs.
Lucide observateur de leurs destins, Takuan essaie de mettre son intelligence et sa clairvoyance au service de chacun, pour le bien de tous. Mais les désirs contradictoires de ces êtres de chair faible et de passion forte sont-ils compatibles ? La voie du sabre que veut suivre Takezo peut-elle s'accommoder des sentiments qu'Otsu se met à lui porter et à faire croître ? Peut-elle surmonter la colère vengeresse d'Osugi ? Se remettrait-elle du retour de Matahachi ?
Longues et tortueuses sont les routes du Japon d'alors.
Incertaines, dangereuses, fourmillant de chausses-trappes et d'impasses.
Elles ne laisseront sans doute personne indemne.
Comme vous l'aurez peut-être reconnu, Vagabond est l'adaptation par Takehiko INOUE du célèbre roman Miyamoto Musashi, de Eiji YOSHIKAWA, plus connu du public français sous le titre La pierre et le sabre (et sa suite, La parfaite lumière).
Véritable institution au Japon, ce roman paru dans les années 1920 jeta sans aucun doute les bases d'un genre historique toujours très apprécié : le roman de samouraï (ou en tout cas de guerrier au sabre).
Réputé pour sa virtuosité graphique et ses talents de mangaka (en matière de découpage ou de dialogues), Takehiko INOUE, mis à l'honneur par K.BD ce mois-ci, semblait l'auteur rêvé pour réaliser cette adaptation.
Ma déception n'en fut que plus grande.
Mes co-critiques ne tarissaient pourtant pas d'éloges sur l'artiste. Découvrir son travail s'annonçait donc comme une belle aventure, d'autant que j'avais beaucoup apprécié La pierre et le sabre, lu il y a quelques mois.
C'est peut-être ce qui a desservi cette découverte.
Certes, INOUE fait en effet montre d'une belle maîtrise graphique, nourrissant ses images de détails et de minutieuses hachures, n'hésitant pas, lors des scènes de combat notamment, à abandonner un trait trop net et trop léché pour du presque croquis flou, vibrant, sauvage.
Pour le reste, il cultive tous les travers des mangaka réalisant des shônen ou des seinen : émotions surjouées, compositions emphatiques, métaphores trop appuyées et dialogues...indigents. Bon, sur ce point le doute peut demeurer dans la mesure où la traduction est peut-être en cause...
Le résultat met donc à bas la subtilité qui se dégageait du roman. Bien sûr que les situations, souvent intenses et dramatiques, pouvaient paraître exagérées, mais méritaient-elles pour autant le traitement caricatural infligé par INOUE ?
Et ne me dites pas que cette outrance redondante est la marque de fabrique de toute une culture, car d'autres ont sur la dépasser avec talent et personnalité, comme Taiyou MATSUMOTO ou Atsushi KANEKO par exemple.
Les personnages en ressortent donc caricaturaux : difficile, impossible même de les prendre au sérieux.
Que reste-t-il entre nos mains ? Une pantomime criarde (sic) qui ne donne envie ni de lire la suite (alors que c'est peut-être sur la longueur qu'apparaîtront les subtilités et que nous serons données à voir les lentes évolutions des personnages) ni même de se plonger dans le roman (pour ceux qui ne le connaissent pas encore).
Je vais tout de même persévérer et suivre les conseils des autres chroniqueurs de K-BD, tellement enjoués, mais je crains le pire à la lecture de Real ou de Slam Dunk...
Champimages qui en font beaucoup trop.
(les textes reproduits plus hauts sont extraits du roman, pas du manga)