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Teddy, Petit Brun, Bouba... Longue est la liste des ursidés qui peuplent le monde des images enfantines. A cette brune galerie s'ajoute, depuis quelques années, le blanc immaculé de son septentrional cousin, figure emblématique du tragique réchauffement climatique, comme on dit.
Dans un monde où la peau de l'ours se vend beaucoup plus qu'elle ne se chasse, Barnabé fait figure d'exception : il ne met sa force brute qu'au service de l'aide à autrui et sa curiosité légendaire à celui de la poésie. Il réussit même le tour de force (sic) de faire de sa puissante musculature un incroyable levier inventif lui permettant de réinventer son environnement avec ingéniosité.
Ainsi, l'hiver approchant, il déracine chaque arbre rencontré pour le replanter à l'envers, les racines devenant branches dénudées et les frondaisons feuillues gagnant l'abri du sous-sol.
Il fallait y penser.
Bien qu'attiré par la tranquillité, l'isolement et le repos, Barnabé demeure un ours très sociable et fréquente bon nombre de ses contemporains : des oursons dont il semble avoir parfois la garde, un lapin qui l'accompagne dès la couverture de cette Intégrale n°1, une araignée dont le sens architectural lui est d'un grand secours, et bien sûr les poissons dont il est friand, comme éléments décoratifs ou gustatifs.
Au rythme régulier d'un gag par planche, Barnabé explore prés, forêts, montagnes et cours d'eau pour en tirer la poétique moelle : les éléments (vent, pluie, neige souvent), les paysages (y compris les mers de nuages), la faune ou la flore (avec une préférence marquée pour les fleurs jaunes et les pommes) sont autant d'assistants pour ce rêveur pragmatique qui repense le monde en quelques cases.
Outre son imagination, Barnabé dispose, pour se faire, d'un ingénieux sens du détournement, d'un sens de l'observation poussé et d'une propension à l'absurde qui le place à l'abri de bien des contingences rationnelles.
Cet art du décalage en fait d'ailleurs un fin critique des idées reçues bien humaines et des certitudes de nos contemporains : plus qu'un simple rêveur à poils et à griffes, Barnabé est bel est bien, entre les mains de Philippe COUDRAY, un philosophe.
Attentif aux images et aux mots, aux doubles sens et aux raccourcis, cette bête loin de l'être nous démontre surtout la relativité des choses que le vont, des propos que l'on tient. Ses points de vue décalés nous offrent une distance salutaire au monde en nous le donnant à voir sous un autre angle. Reflets, ombres, caché/montré, retournements... La panoplie démonstrative mais jamais pontifiante est riche de tout ce que la nature lui met sous la patte.
Petit bijou d'humour tendre et terriblement malin, L'ours Barnabé est servi par un dessin tout en simplicité qui découragera peut-être ceux qui le jugeraient trop enfantin. Ils passeraient alors à côté d'une brillante création qui n'a pas souffert des outrages du temps malgré son grand âge - Barnabé ayant fait ses premières apparitions dans les années 1980 !
Certes, les histoires ne présentent pas toutes le même intérêt, mais c'est sans doute le prix à payer pour une oeuvre d'une telle densité (compilée en trois intégrales !).
En ce mois de Boîte à Bulles sur k.bd, voici une belle occasion de découvrir ou redécouvrir cette perle poilue d'intelligence et de poésie amusée qui, sans en avoir l'air, nous invite à ne pas nous contenter d'appréhender le monde tel qu'on le voit et qu'on le nomme.
Vaste chantier.
Champimages à contrepied