
"Ce sont des êtres d'exception, Watson, et la justice ne peut s'appliquer dans leur cas.
Voilà donc l'original point de vue défendu par le célèbre Sherlock Holmes : on ne peut traiter comme les autres les "êtres d'exception" - en l'occurrence deux coupables prêts à se sacrifier l'un pour l'autre en endossant la responsabilité du meurtre d'un homme bien peu fréquentable.
Le plus célèbre détective des mondes littéraires (avec ou sans images) aurait donc de la justice une image en demi-teinte...
Rien d'étonnant pour un maître du déguisement, du semblant et des faux-semblants, qui se retrouve ici aux prises avec une autre célébrité de l'époque (l'Angleterre victorienne) : Jack l'Eventreur lui-même.
Sollicité par Scotland Yard qui demeure impuissante face au tueur des prostituées de White Chapel, Holmes et son éternel acolyte le Docteur Watson s'en vont donc fouler le sale pavé du sordide quartier londonien pour essayer de démêler le labyrinthique mystère tissé par celui qui disait écrire et agir "depuis l'Enfer" (From Hell, comme le rappellerait Alan MOORE).
Michael DIBDIN, auteur du roman originel, décide, en 1978, de faire se rencontrer ces deux monuments de l'Histoire et de la littérature. Une idée alors plutôt originale qui plonge le lecteur dans une spirale infernale : qui est qui ? Qui fait quoi ? En invitant dans cet imbroglio la figure de Moriarty, l'auteur sème les ultimes pincées de confusion totale. Holmes, toujours aussi extrême et enclin à la paranoïa, voit partout la marque de l'(invisible) empereur du crime. Watson, qui a toujours défendu son ami et mentor, ne sait plus que faire ou qui croire. Et le lecteur de se retrouver baladé avec de moins en moins de certitudes.
Le tout sous l'égide de Sir Arthur CONAN DOYLE lui-même qui, par sa présence au sein du récit, finit de jeter le trouble : fiction et réalité ne font plus qu'un. Et si tout cela n'était qu'un livre...
L'adaptation en bande dessinée qu'en proposent Olivier COTTE et Jules STROMBONI en 2010 est à double tranchant.
Graphiquement, elle offre des visuels et des mises en page magistrales [j'accorde avec le groupe nominal le plus proche, NDLR ;)], directement inspirées par les gravures et journaux du XIX°s. Le trait est sur-expressif à souhait, les hachures rehaussent ambiances et silhouettes "à la manière de", et le traitement des couleurs - en petits points juxtaposés - nous replonge dans les années "journaux à bon marché". L'époque transpire jusque dans la forme avec brio.
L'histoire est rondement menée, sans temps morts, avec ce qu'il faut de questions sans réponse pour que les lecteurs soient tenus en haleine. Les dialogues sont enlevés, les ruptures de rythme efficaces, et les pleines pages ménagées par le récit offrent de vrais morceaux de talent graphique.
Mais... car il y a un mais : ce qui était original en 1978 ne l'est plus quarante ans après (déjà). Holmes et Jack l'Eventreur se sont déjà croisés (au cinéma notamment, et ce dès 1965 !) et la confusion qui peut régner entre le plus célèbre des détectives et sa némésis Moriarty a déjà éclos dans bon nombre d'adaptations.
Le jeu des faux-semblants finit même par tirer un peu trop sur la corde dans les dernières pages.
Plaisant à lire pour ceux qui aiment les excès mégalomanes du locataire du 221b Baker Street et les affaires improbables (évoquées à plusieurs reprises au fil des pages), L'Ultime défi de Sherlock Holmes, malgré ses qualités graphiques et son rythme prenant, souffre d'un manque d'originalité scénaristique. C'est dommage.
Il reste malgré tout une belle pierre à l'édifice de la collection Rivages/Casterman/Noir, à ranger aux côtés de l'adaptation du Dahlia Noir ou de Trouille.
Champimages en demi-teintes.