
Comme vous le lirez un jour entre ces notes - quand j'aurai eu le temps de mettre tout cela au propre - j'ai eu la chance l'été dernier d'animer une table-ronde durant le Festival BD de Solliès-Ville sur le thème de l'autobiographie.
Parmi les auteur-e-s se trouvait Aude MERMILLIOD, que je ne connaissais pas encore et qui m'a fait découvrir sa première bande dessinée (si je ne me trompe pas), Les Reflets changeants.
Reflets du soleil sur les vagues de la Méditerranée, reflets sur les rails qui la bordent, reflets dans les souvenirs d'un vieil homme qui ne se remet pas de son passé...
Elle, c'est Elsa. "J'ai 22 ans, je suis fraîchement diplômée, je suis brillante. Et très amoureuse. Et tout disparaît derrière ça. A la question "Comment vas-tu ?", je réponds : "Et ce moment il va plutôt bien." Il est beau, talentueux, plus âgé que moi, juste ce qu'il faut pour me donner de l'importance. Et surtout assez sombre pour le rendre fascinant à mes yeux. Un vrai rêve de petite fille, quoi."
Ballotée entre deux villes, deux vies, elle fait à peine moins le yoyo que son coeur malmené. Heureuse en demi-teintes, accro, déchirée, elle souffle, elle souffre, le train-train l'entraîne trop loin.
Lui, c'est Jean. Conducteur de T.E.R., divorcé, dragueur, père d'une adorable fillette aux yeux trop écarquillés devant lui. Il a beau embarquer chaque matin, il ne cesse de revenir à son point de départ. Il lui faut partager le banc d'un vieillard venu faire promener son chien pour enfin se mettre à voyager, à travers un cahier oublié : "Mon avenir est derrière moi."
Lui, c'est Emile. Vieux mais toujours debout. Accompagné de son chien, il arpente un monde qu'il espère silencieux mais que des acouphènes intermittents changent en enfer vrombissant. Une fois rentré, il retrouve sa moitié. "Comme tu as changé, ma poule. Parfois j'ai du mal à y croire... Je reconnais que c'est mon état qui t'a rendue comme ça. Je sais que tu es triste, inquiète. Et que ça te rend chèvre. Toi, mon joli moulin à paroles, contrainte à ce terrible silence, parfois tu es haineuse et frustrée. Pour ma part mes sentiments n'ont pas changé."
Voilà sans doute ce qui unit cet improbable trio - au-delà des trains, des rails - : les sentiments. Ceux qui vont, ceux qui viennent, ce qui restent, ceux qui partent, ceux qui changent. Rien n'est jamais simple, jamais. Les salauds le sont mais pas seulement, les gentils non plus... Une somme d'égoïsmes plus ou moins sous contrainte, sous contrôle, plus ou moins écrasés ou exacerbés par l'Histoire et les histoires.
De sa ligne claires aux petits airs de DUPUY & BERBERIAN ou Jean-Claude DENIS (on a déjà vu pire !), Aude MERMILLIOD prend le temps de poser les vies de ses personnages, de les dérouler au fil du temps, des rencontres, des distances, de leurs recherches, leurs errances, leurs buts.
Les couleurs tranchées comme les ombres et lumières de la Méditerranée laissent parfois la place au papier jauni d'un vieux carnet, inspiré du journal intime du grand-père de l'auteure. Difficile alors de faire la part entre fiction et autobiographie (souvenez-vous du début de ce texte !) et quand on lit "je dédie ce livre à ma mère" à la fin du livre, on comprend le poids qu'une telle histoire a pu peser sur une histoire familiale.
Belle manière en tout cas que d'entremêler les fils du présent et du passé, de l'imaginaire et de la réalité, pour digérer ce qui doit l'être, mettre à distance le reste, et avancer.
Dans quelque direction que ce soit, au gré des reflets.
Champimages en écume de mémoire.