Au commencement était sans doute la folie d'un auteur décidant de prendre à bras la plume rien moins qu'une pas si brève histoire du monde. Ainsi Jens HARDER, illustrateur et auteur de bande dessinée allemand, s'est-il lancé dans le récit fleuve de l'histoire de l'humanité, et bien plus largement de la vie sur Terre.
Rien que ça.
Au commencement était une couverture presque lovecraftienne - l'ombre de Yog-Sothoth n'est jamais loin -, amas globuleux macrocosmique ouvrant sur autant de lentilles penchées sur le berceau de notre espèce.
Au commencement était une page blanche sur laquelle point, au fil du temps, un hypnotique chaos primodial, maelstrom graphique qui impose peu à peu ses tourments prometteurs avant d'exploser en un cosmique top départ.
Jens HARDER s'adonne alors à une lente et fidèle reconstitution de ce que la science nous permet de connaître aujourd'hui de l'histoire du monde - rien que ça. Avec force détails et maniement ingénieux de la lunette astronomique comme du microscope électronique, l'auteur nous donne à voir le à peine imaginé ou démontré, du plus loin comme du plus près : les cieux se fendent, les atomes s'organisent, la Terre à peine façonnée se déchire, les plus improbables opérations physico-chimiques adviennent et la cellule fait ses premiers pas.
Epoustouflant... Avec une puissance d'évocation extraordinaire, et un sens du détail parfois déroutant, Jens HARDER a su faire d'une masse de connaissances possiblement indigeste un somptueux ballet graphique, envoûtant et particulièrement intéressant.
Non content de disséquer pour nous l'histoire de la Terre, il a fait appel au vaste imagier des arts et des religions, mâtiné de nombreuses et riches références au monde de la bande dessinée.
Il rend ainsi hommage à l'incroyable iconographie accumulée au fil des millénaires par des cultures toujours plus avides de connaissances sur la création, le passé, les créateurs fantastiques, l'univers. Gravures, peintures, sculptures, enluminures, peintures, sont ainsi régulièrement convoquées, autant pour leur force symbolique que pour leur dimension graphique, parfois accompagnées d'hommages aux grands noms du neuvième art.
Ainsi Van Gogh, Gertie le dinosaure, Jérôme Bosch, bas-reliefs égyptiens ou Godzilla se croisent-ils au fil de ces pages aussi denses que dynamiques.
L'énergie qui coule d'un bout à l'autre de cet album semble à la fois alimentée par l'extraordinaire de cette aventure hors du commun, et par cet élan soudain cohérent qui semble avoir conjointement animé l'histoire des formes naturelles et l'histoire des mythes élaborés par les hommes pour essayer de comprendre l'inexpliqué.
Véritable prouesse graphique et scénaristique, Alpha... directions est un incroyable voyage au coeur de l'Histoire et de l'histoire des images.
"J'ai tenté, avec Alpha, de rassembler pour la première fois toutes les représentations visuelles dont nous disposons, à partir d'un point d'origine appelé big bang, pour imaginer la naissance de l'univers que nous connaissons."
Pari gagné.
Espérons que les deux autres tomes annoncés par l'auteur (Beta... civilisations, et Gamma ... visions) verront bientôt le jour, et que les Editions de l'An 2 nous en offriront une version aussi belle que ce premier tome dense et prometteur à lire, relire, parcourir, et redécouvrir sans modération.
Les chefs-d'oeuvre ont encore de l'avenir.
Champimages à travers l'espace et le temps