Les thèmes
se suivent et ne se ressemblent pas sur K-BD : après un mois d'avril consacré aux "petits vieux", mai se penche
sur "les héroïnes créées et mises en scène par des auteures/auteuses".
J'aime quand K-BD me fait me replonger dans des BD lues il y a longtemps (le récemment abordé Léon la Came en est un bon exemple).
J'apprécie aussi quand les thèmes m'amènent à ouvrir un livre que je n'aurais sans doute qu'effleuré du regard si je l'avais vu - ce qui n'était même pas le cas de Frances, pour tout avouer. Et bien qu'ayant des goûts graphiques larges, pas sûr que j'aurais pris la peine de le lire. Pas tant pour l'étrangeté qui se dégage d'un trait qu'on imagine tracé au crayon à papier ou à la mine de plomb que par la raideur qui émane de l'ensemble. Ayant été conquis, il y a quelques années, par l'écriture d'Agota KRISTOF, je me suis dit qu'on tenait peut-être ici, en la personne de Joanna HELLGREN, son pendant "bédéien".
Frances est une petite fille brune que sa blonde et diaphane tante Ada vient chercher un soir après la mort d'August, le père de la fillette. Elle l'extrait de sa campagne sans doute natale pour un appartement au coeur de la lointaine ville, entre un père/grand-père (tout est relatif) gâteux et un peu antipathique, une voisine intrigante aux cheveux noirs courts et plaqués, et une autre tante, Anna, dont les blondes jumelles ont le parfait attirail des petites pestes.
En perte de repères, Frances découvre un univers familial peu accueillant et étouffant, souffre de la distance avec sa poignée d'amis qui tardent tant à répondre à ses lettres, et tente de fuir ses cauchemars récurrents où son père revient encore et encore. Le fait que son grand-père la confonde avec August n'arrange rien.
Pour couronner le tout, Anna, plus jeune mais plus autoritaire qu'Ada, assomme sa soeur de reproches et, s'invitant à l'improviste un samedi matin, lui reproche ses fréquentations fémines. Car Ada se fait parfois oiseau de nuit pour trouver de la compagnie.
Difficile de défendre cet album que je trouve au mieux convenu, au pire sans intérêt. Les clichés - qui ne font peut-être que restituer la banalité d'une situation
réelle - s'enchaînent à tous les niveaux : relation entre Frances et des deux cousines, entre Ada et sa soeur, entre les deux femmes et leur père sénile, entre
Ada et Louise, sa voisine... Tout a déjà été joué et rejoué mille fois, situations, personnages, dialogues, et l'on se demande bien quel pourrait être le contenu
des épisodes suivant. En apprendre davantage sur les secrets de famille ? Bof... Voir les deux héroïnes, nièce et tante, s'émanciper ? Elles ne sont pas attachantes...
Graphiquement, on pourrait reprocher à Joanna HELLGREN l'inconstance de son trait et les libertés qu'elle prend avec les proportions et la perspective, mais tout cela concourt à dessiner un univers un peu décalé et dérangeant en parfaite adéquation avec le propos. Les visages, bien que peu expressifs, ont la force de certains masques de théâtre, et les décors à géométrie variable peuvent évoquer les artifices qui font apparaître ou disparaître à volonté et suivant les besoins les éléments qui les constituent.
Les personnages sont assez raides, contrastant parfois fortement avec certains paysages déployés en pleines pages où l'auteure donne libre cours à une certaine virtuosité pour la vibration - malgré l'économie des moyens.
Même si l'on tente de replacer l'histoire dans un contexte historique précis et fort, dans lequel les enjeux concerneraient la place des enfants et celle des homosexuels dans une société rigide et conventionnelle, il m'est difficile de trouver Frances intéressant : non seulement, comme je l'ai indiqué, parce que tout à un sérieux air de "déjà vu", mais aussi parce que l'auteure semble avoir tellement appuyé le cliché qu'il en devient caricatural. Les seuls hommes qui gravitent autour de cette histoire sont un frère alcoolique, un père de famille effacé et un grand-père sénile.
La communauté lesbienne n'est pas épargnée non plus, avec ses regards en coins, ses moqueries et ses travers vestimentaires ou capillaires.
Une lecture décevante, donc, peut-être desservie par le fait qu'il s'agit de la première oeuvre de la dessinatrice suédoise. Pas sûr toutefois que la curiosité me pousse tout de suite à plonger dans d'autres pages de la même plume.
Dommage.
Champimages raides et usées.