La course au mouton sauvage... Voilà bien encore un de ces titres improbablement poétiques dont Haruki MURAKAMI a le secret.
Un secret qui toutefois a des airs de recette.
Non qu'il ne soit pas plaisant de goûter à la cuisine qui nous agrée, mais lorsque les plats se suivent de trop près, on frôle la satiété.
Or, ce cher mouton partage quelques points communs avec l'oiseau à ressort dont je vous parlais il y a quelques mois : un homme suspendu entre quotidien et vide, une femme mystérieuse aux étranges prémonitions, une puissance politico-occulte, une quête...
Certes, des éléments bien imprécis que l'on pourrait combiner à l'infini sans sombrer dans la répétition.
Mais lorsqu'ils sont liés par le style caractéristique de l'auteur, ils ont un goût de déjà vu - si je puis dire.
Ne boudons toutefois pas notre plaisir : l'écriture est fluide, agréable, riche en tournures et trouvailles, et les situations glissent avec délice de la banalité à l'inattendu. Que le narrateur, jeune publicitaire tokyoïte, se retrouve contraint de retrouver la trace d'un mouton entr'aperçu sur une photo et portant une drôle d'étoile sur son dos n'a finalement rien d'étonnant.
Car MURAKAMI sait tisser des univers où tout peut arriver sans que finalement cela ne nous semble incongru.
Le temps se dilate ou se rétracte à loisir, les regards s'accrochent ou se perdent, les personnages aussi...
Un récit comme toujours porté par une profonde affection pour toute la culture du monde ("Un écrivain russe disait que, si le caractère pouvait s'altérer quelque peu, la médiocrité demeurait identique pour l'éternité. Ils sont quelquefois très avisés, ces Russes. C'est sans doute qu'ils ont tout l'hiver pour gamberger."), par un humour décalé et délicat, et un délicieux sens de la formule ("Le train (...) transportait au total une quinzaine de passagers. Tous ligotés l'un à l'autre par les solides liens de l'indifférence et de l'ennui.")
Un plaisir à goûter par intermittence, donc. Souhaitable retenue qui fera durer d'autant plus longtemps l'attachement à ce poète de l'à-côté.
Champici et là