Nuit d'orage et de vernissage à la Galerie des Suds, sans doute à Marseille. Olivier, jeune peintre local, expose pour la première fois. Sa famille - mère, frère, soeur, femme, enfants - ses amis - liés au monde de l'art ou du foot, deux mondes dans lesquels il baigne depuis longtemps - sont là, à ses côtés.
Sur une des toiles - dont les couleurs et la texture rappellent moquette ou papier peint - une silhouette, de dos. "Un mise en amibe _ en abîme !" corrige le jeune Baptiste. Nouvelle coupure de courant. Eclair. Coup de tonnerre. Et l'espace d'une seconde une longue silhouette se dessine de la porte vitrée de la galerie jusqu'au peintre qui vient d'achever son discours. Longue et large silhouette. Noire comme la nuit. Immobile. Irréelle. L'ombre du père.
Une brève apparition qui plonge Olivier dans ses souvenirs, entre son enfance et sa famille. Entre le père qu'il avait et celui qui est devenu. Longue série de flash-backs qui éclaire peu à peu le lecteur sur les motivations plus ou moins conscientes de ses actes, de ses choix, de sa carrière, de son oeuvre...
Le fils de son père est une oeuvre autobiographique (à quelques détails près, comme on peut le lire ici) des frères OIivier et Guillaume MARIOTTI (qui auraient donc presque pu la titrer "les fils de leur père", même si le personnage principal est bel et bien Olivier). Entre deux époques - l'enfance puis l'âge adulte du héros - l'auteur brosse la lente construction de sa personnalité et surtout de son positionnement en tant que fils enfant, puis en tant que fils adulte, et enfin en tant que père à son tour.
Marqué par une figure paternelle forte, énigmatique, inaccessible, le jeune Olivier passe de l'admiration au doute, au repli, puis à la fuite. Sans pouvoir jamais renier l'héritage paternel, qui a marqué en profondeur aussi bien sa pratique artistique - comme le montre la belle scène suspendue durant laquelle le petit garçon trace dans la poussière le contour de l'ombre de son père... - que sa place de père.
Graphiquement, les auteurs ont pris le parti de nettement distinguer les deux époques mises en scène. Le passé, aux teintes pastels, a la grain des couleurs aux crayons. Un grain renforcé par la texture rugueuse des moquettes et tapisseries que le héros et son père posent ensemble, et qui dessinent peu à peu l'étrange paysage abstrait de leur complicité d'enfance.
Le présent, plus vif, plus tranché, évoque l'aquarelle - même si, là encore, les couleurs sont réalisées à l'ordinateur par Guillaume. Des aplats nets, qui souvent nimbent les scènes d'une ambiance douce et apaisante.
Cette dualité un peu facile a le mérite de l'efficacité et de la lisibilité, au service du récit.
Les yeux sans pupilles des personnages leur confèrent un étrange caractère lunaire qui, s'il colle bien au monde du souvenir, désincarne un peu les protagonistes des scènes contemporaines. Dommage.
Les anatomies sont parfois un peu bousculées, surtout pour représenter les enfants-marionnettes, et le corps de ce père-statue qui domine personnages et histoire de toute sa carrure.
En adoptant un immuable gaufrier de 12 cases, les deux frères ont su imposer une temporalité rythmée et régulière que certaines images s'étendant sur plusieurs cases viennent parfois bousculer, confrontant lecture successive et simultanée (l'ombre du FRED de Philémon n'est jamais loin dans ces cas-là !).
Scénaristiquement, traiter conjointement de l'héritage paternel et de la mise en abîme aurait pu être un exercice de style un peu redondant. Olivier MARIOTTI évite toutefois cet écueil, en n'appuyant jamais trop son propos, même quand il se met en scène en train de donner un cours de dessin de nu, ou lorsqu'il rejoue devant ses enfants les mêmes contre-pieds que son père - faisant en cela vaciller l'autorité maternelle.
La manière dont il rend compte du monde de l'enfance, de ses travers, de ses manies, de ses habitudes, est très réussie : attitudes, mots, gestes, réactions sont très crédibles, de la capture d'une coccinelle à un match de foot. On pourrait peut-être lui reprocher le traitement outrancier et répétitif qu'il donne à la "voiture rose" (vous découvrirez par vous-même de quoi il s'agit en lisant l'album !!), mais peut-être faut-il mettre cela sur le compte de la vision déformée que les enfants ont du monde, et que Olivier enfant a donc de son père et de la chauffeuse de cette voiture.
Petite critique à apporter à certains dialogues toutefois : dans un souci de réalisme et d'exhaustivité, ils finissent parfois par être trop démonstratifs et trop pesants. Un peu trop écrits.
On ne peut pas réussir sur tous les tableaux.
Autobiographie sans doute cathartique, qui a permis à l'auteur de renforcer ses liens avec son frère, et peut-être de régler certains comptes avec le passé, le Fils de son père est une oeuvre touchante et sincère qui pêche parfois par excès de démonstration.
Illustrant la riche théorique de l'incontournable influence que notre enfance - et nos relations avec nos parents à cette époque - a sur notre vie d'adulte, ce livre semble toutefois la poser comme incontournable et peu modifiable. Au temps pour le libre arbitre.
Mais cette première prise de conscience est peut-être la nécessaire première étape sur la longue route de l'émancipation et la reconstruction de soi.
Champimages venues de loin