Il me fallait bien ça pour me tirer de la torpeur internautique de ces dernières semaines : un petit bijou ciselé au rasoir graphique, prêt à exploser à chaque page. En prime, au service d'un plat de saison proposé par K-BD, un plat qui se mange froid : la vengeance.
Sin City aurait tout aussi bien pu coller au thème du mois de mai - la ville, comme vous pouvez le lire ici ou là - mais il faut reconnaître qu'à chaque page les comptes se règlent et les esprits se dérèglent.
Sexe, alcool, violence, gangs, non droit, riches villas, trafics, écorchés vifs, femmes fatales... Du roman noir, du roman glauque, et personne indemne.
"Encore une de ces nuits brûlantes et sèches. Un nuit sans vent. Une nuit qui fait faire aux gens des trucs secrets et bien moites."
Dwight McCarthy la connaît bien, la ville. Il la connaît autant qu'elle la cogné.
De bas-fonds en fonds de bouteille. De corps broyé en coeur brisé.
Il pensait que tout ça était derrière lui maintenant. Loin.
Mais un coup de fil, un regard, et tout bascule.
"Elle est en retard, comme toujours. Et elle vaut toujours autant la peine qu'on l'attende."
Ava.
Trois lettres pour un enfer.
Beauté fatale.
Sombres souvenirs ressurgis.
Mais la rédemption n'existe pas à Sin City. Une fois qu'on a couché avec l'enfer, on ne peut s'en défaire.
Alors même s'il avait juré qu'on ne lui reprendrait plus, qu'elle ne le reprendrait plus, Dwight replonge. Pour son corps, pour ses yeux, pour cette histoire jamais refermée qui suinte encore et encore l'amour et la douleur.
Lui qui se contentait de prendre en photos les maris des autres, pour le compte d'Agamemnon le détective difforme, le voilà prêt à refaire le portrait de celui qui a mis la main sur Ava.
Un colosse rôde toujours autour de la belle ?
Qu'à cela ne tienne. Dwight a un paquet d'amis. Des belles de nuits, mais aussi des golems, façonnés dans la douleur qui engorge les caniveaux. Marv viendra avec lui. Marv l'ange gardien, Marv la force de la nature, Marv l'incontrôlable.
La nuit n'a qu'à bien se tenir...
Pas de demi-mesure dans Sin City, même si tous les habits ne font pas les moines : les belles sont très belles, les costauds très costauds, les coups sont des orages de grêle, les cicatrices fleurissent au galop.
Frank MILLER a composé une galerie en acide trempé, qui règle ses histoires à grands éclats de voix, de verre et de poudre.
Des bars louches aux riches propriétés, la violence fait la loi, et est bien la seule à rafler la mise. Les hommes ne sont que des jouets entre ses mains, victimes de leurs pulsions, leurs illusions, leur folie.
Si les dialogues sont parfois un peu lourds, les monologues intérieurs sont percutants, bien tournés, au service de cette tragédie d'amour déçu qui ne se laissera plus faire.
La force de Frank MILLER est toutefois surtout à chercher dans ses images, ce noir et blanc impeccable qui flirte parfois avec l'abstraction, plus souvent avec le contre-jour, le négatif, la silhouette. Comme si ses contes de la nuit ne s'épanouissaient que derrière le voile que la ville a jeté sur les vies de ses habitants.
Facilement expressionniste dans les postures, les mouvements et les expressions, MILLER sait aussi tailler dans l'encre les corps monolithiques de ses personnages qui dansent, qui souffrent, qui se souviennent... La violence fait alors place, un temps, à l'élégance, à un temps suspendu que l'on sait ne pas durer car le répit n'est qu'éphémère à Sin City.
Bien sûr, on pourrait reprocher à l'auteur son sens de l'exagération : Dwight devrait mourir mille fois, mais il est toujours debout. Sans doute mû
par la flamme de la vengeance qui le brûle presque plus fort que la douleur des souvenirs. Après tout, d'une manière ou d'une autre, c'est un héros...
Cela faisait longtemps que ce premier tome de Sin City attendait sur mes étagères. L'adaptation cinématographique que Robert RODRIGUEZ en avait tirée m'avait séduit.
Le noir et blanc de MILLER m'a subjugué. Ses ombres, ses lumières, ses regards esquissés dans la nuit, ses éclats qui fragmentent le monde et l'image, ces lignes qui composent et recomposent les cases avec la délicatesse de l'abstraction.
Rendre la mort et la violence aussi belles pourra paraître malsain à certains. Mais quand il n'y a plus rien à espérer, c'est toujours ça de pris.
De plein fouet.
Champimages sans concession.
(Et donc, en effet, J'ai tué pour elle n'est que le deuxième opus de la saga, pas le premier, qui, en toute logique, s'appele Sin City. Mea culpa.
Je m'en vais donc de ce pas acheter le tome 1 et en parler par ici dès que possible).