"Cette histoire se déroule dans une "ville nouvelle" (...) ville dortoir artificiellement construite dans le but de créer de nouveaux centres et d'éviter la surpopulation des centres villes. (...) De nouvelles villes ont ainsi subitement surgi de nulle part, et avec elles des témoignages de phénomènes étranges."
Atsuhi KANEKO, a qui l'on doit le déjanté et tarantinesque Bambi, a décidé d'installer l'histoire de Soil dans une petite ville banale comme on peut en recontrer dans bon nombre de pays dit "développés" : villes tracées au cordeau où règne l'uniformité des rues, des jardinets, des façades, et des habitants. En apparence.
Soil Newton n'échappe pas à la règle : des rues parfaitements orthogonales, des maisons semblant se répéter à perte de vue, et des familles modèles les peuplant. Tout ce petit monde vivant son petit quotidien sous l'oeil bienveillant et attentif des délégués des habitants, garant de l'ordre et de la bonne entente.
Pourtant, une nuit, tout bascule.
Suite à la chute d'un pylone électrique.
Suite à la courte période sans électricité qui en a résulté.
Au matin, presque rien n'a changé.
Presque.
La gentille famille Suzuchiro manque à l'appel.
Et un étrange monticule de sel trône dans la chambre de leur fillette.
Etrange. Le mot est lâché.
Regards en coin, gouttes de sueur, école en émoi, masque bariolé qui contemple tout cela...
Et d'autres disparitions : un agent de police venu voir ce qui se passait sur place, durant la nuit.
Un jeune garçon qui traînerait peut-être dans des bâtiments désaffectés, en périphérie.
Le vernis qui recouvre Soil Newton a profité de l'obscurité pour commencer à s'effriter. Qui sait quand il va s'arrêter.
Dans Bambi, KANEKO avait mis son dessin atypique au service d'une histoire surprenante mais particulièrement dynamique, où l'humour et l'énergie sans fin de l'héroïne secouaient le lecteur de la première à la dernière page.
Dans Soil... il est particulièrement étonnant - presque perturbant ! - de voir que ce même graphisme (qui n'est parfois pas sans rappeler celui de Charles BURNS) installe une atmosphère lente, pesante, et finit par instiller un malaise dont on ne peut se défaire. Le cerne noir qui clot chaque visage, chaque corps, chaque décor, campe tous les éléments du drame avec intensité et détachement, comme si tous les protagonistes étaient résolument étrangers les uns aux autres.
Les trames, plutôt rares et discrètes, font la part belle aux aplats, qui écrasent les images de leur blancheur ou leur noirceur.
Le découpage de KANEKA n'est pas étranger à l'ambiance anxiogène qu'il pose par petites touches, case après case, à l'aide de détails insolites ou dérangeants : micro-tremblements, commissures des lèvres, insectes, gestes... Tout est bon pour déstabiliser le lecteur et le mettre mal à l'aise.
De même que l'un des principaux protagonistes, l'inspecteur Yokoi, ne cesse de chercher à choquer sa partenaire, le lieutenant Onoda, en lui parlant constamment de sexe, en la dévalorisant, et en se tripotant régulièrement aisselles et entrejambe... à tel point que les images finiraient presque par dégager une sale odeur !
Oui, la saleté... Voilà ce qui semble se dégager de ces images au noir et blanc pourtant impeccables : la saleté. La pourriture. La corruption. Derrière les sourires, derrière les façades, flotte la fange.
Un cloaque de secrets que les policiers vont agiter, et peu à peu faire éclater. A leurs risques et périls.
Quitte à dévoiler des mystères et des horreurs encore plus anciens.
Soil Newton n'est peut-être pas jaillie de rien finalement. Et ses racines s'enfoncent peut-être un peu trop profondément...
Champimages qui dégoulinent.