Compte-rendu de la table ronde que j'ai eu la chance d'animer le 27 août 2011 durant le Festival BD de Solliès-Ville.
De droite à gauche : Michel PLESSIX (Julien Boisvert, Le Vent dans les Saules, le Vent dans les Sables), le Dr BENGHOZI (psychothérapeute et psychanalyste, Antoon KRINGS (Les Petites Bêtes), Eve THARLET (Fenouil, M Blaireau et Mme Renarde) et Loïc JOUANNIGOT (La famille Passiflore, Château Chat, Petit Mardi et les Zumins).
Comment êtes-vous entré dans le monde du dessin, du livre, et pourquoi vous être orienté vers la création pour le jeune public ?
LJ :
Je travaille dans l'illustration depuis une trentaine d'année.
J'ai fait mes premiers dessins à l'école de la publicité, qui a été très formatrice.
Mes premiers travaux ont été réalisés pour la presse jeunesse, qui a été un bon tremplin pour l'édition jeunesse.
Je crée pour un public jeune car c'est un domaine dans lequel je me sens à l'aise.
ET :
Mon objectif est avant tout de raconter quelque chose. J'ai réalisé des illustrations durant trente ans, puis je me suis tournée vers la bande dessinée, autre support pour pouvoir raconter des histoires.
J'ai de tous petits pieds – je chausse du 35 ! - ce qui explique peut-être que je sois restée jeune !!
AK :
Je fais ce métier par amour de la littérature jeunesse, par amour du dessin, et parce que cela fait écho à mes souvenirs d'enfance.
MP :
Depuis tout petit, je me raconte des histoires. J'ai choisi le dessin pour les raconter aux autres.
Enfant, les BD que je lisais étaient surtout Astérix ou Lucky Luke, des BD destinées à tous les publics. C'est sans doute la raison pour laquelle j'essaie moi aussi de m'adresser à tous les publics.
Dr B :
La part d'enfance est importante chez les auteurs, mais également chez les adultes.
Ces BD pour enfants sont également lues par les adultes : elles leur permettent de retrouver leur propre monde.
Il y a une correspondance entre le monde adulte et le monde enfant à travers le dessin.
Le dessin est souvent l'occasion d'échanges thérapeutiques pour l'ensemble de la famille.
Quelles réactions, quels retours avez-vous de la part des jeunes lecteurs lorsque vous les rencontrez ?
AK :
Le travail d'auteur est avant tout un travail solitaire : il s'agit de se faire plaisir, de vivre à travers des rêves éveillés.
Rencontrer le public, rencontrer les enfants est un enrichissement supplémentaire.
Dans les écoles, je peux partager ce travail que j'ai réalisé en solitaire.
Les émotions ressenties par les lecteurs sont très touchantes.
ET :
Je fais beaucoup d'animations dans les écoles.
Les enfants connaissent les noms de personnages de mes albums, et ils en inventent d'autres, comme les enfants hypothétiques de mon couple « Monsieur Blaireau et Madame Renarde », par exemple.
Les enfants sont toujours surpris de voir qu'il y a un vraie personne derrière les personnages, derrière les livres.
LJ :
Le plus important est le partage avec les enfants.
Le dessin est un véhicule que j'utilise pour proposer mon univers, et grâce aux échanges, chaque lecteur peut me proposer sa propre version.
Pour Château Chat, album sans parole, il y a autant de versions que de lecteur !
MP :
Je rencontre essentiellement le public lors de festivals.
Les enfants ne me parlent pas du dessin, mais de leur vision des albums : ils réinventent l'histoire.
Dr B :
Les enfants viennent voir les médecins avec les dessins des auteurs. Les personnages deviennent des « co-pains » avec qui ils partagent leur vie.
L'image est essentielle pour que l'enfant se construise, et la dimension narrative du récit en images permet de construire un univers de la continuité.
Une difficulté pour les enfants est de ne pas pouvoir se raconter une histoire : ils ont besoin des livres, et de la parole des adultes pour dérouler le texte. Cela les aide à se construire.
MP :
Lorsque j'ai travaillé à l'adaptation du Vent dans les Saules, j'ai eu affaire à un texte avec une charge littéraire et poétique forte. Mais je ne voulais pas le simplifier pour les enfants, car je voulais en garder le charme. J'ai donc compté sur l'accompagnement de la lecture par les parents, et j'ai gardé des informations qui ne s'adressent qu'aux adultes. J'espère ainsi pouvoir intéresser tous les lecteurs.
Un de vos points communs est de mettre en scène essentiellement des animaux anthropomorphes. Pourquoi ce choix ?
LJ :
J'ai beaucoup rêvé sur les dessins animés de Walt Disney et sur les livres de Beatrix Potter, ainsi que sur Winnie l'Ourson, le Vent dans les Saules... Or tous mettent en scène des animaux !
Ces personnages sont des caricatures. Ils permettent de raconter des histoires allant beaucoup plus loin que si l'on mettait en scène des humains. Ils ont moins de limites.
ET :
Il est plus facile de parler de thèmes un peu difficiles, comme la famille recomposée – qui est l'objet de mes histoires de M Blaireau et Mme Renarde – avec des animaux.
Les enfants mettent ainsi une distance supplémentaire face à la BD, mais ils sont tout de même touchés en profondeur.
AK :
C'est pour moi plus simple de dessiner ce genre de personnages, car enfant je dessinais surtout des animaux, et j'éprouvais une grande attirance pour la nature.
J'ai donc décidé de retrouvé ce plaisir d'enfance à travers ces thèmes favoris.
MP :
Je partage les influences citées par Loïc, ainsi que celle de Raymond Macherot (Chlorophylle, Sibylline).
L'usage de personnages animaliers permet de créer une distance vis-à-vis de certains problèmes.
C'est une vieille tradition universelle – elle remonte à Esope ! - qui permet de mettre en lumière la nature humaine.
Si je n'avais pas été auteur de BD, j'aurais peut-être été éthologue...
Dr B :
Ces personnages ne sont pas à proprement parler des animaux : ils sont plutôt la re-création d'un monde animal.
MP :
J'ai davantage l'impression de dessiner des humains portant des masques.
LJ :
Comme le fait Juanjo Guarnido dans Blacksad !
Dr B :
Dès la préhistoire, avec les peintures rupestres, les hommes ont éprouvé le besoin de représenter des animaux. Sans doute une manière de vaincre leur peur en entrant dans le monde animal.
Vos dessins posent également la question de la transformation.
MP :
Ces animaux ont un côté sympathique, mais également un côté pratique : ils ont des silhouettes très identifiables, même dessinées en tout petit, contrairement aux humains. Leurs silhouettes sont extrêmes et beaucoup plus lisibles.
Dr B :
Pour créer le personnage de Charlot, Charlie Chaplin s'est beaucoup inspiré de Disney, de ses personnages animaliers et de leur langage corporel.
MP :
Chaplin avait beaucoup travaillé sur la question de l'universalité à travers le langage du corps, de la silhouette, et du caractère muet de son cinéma.
ET :
Il est intéressant de voir que tous les animaux n'ont pas les mêmes valeurs symboliques d'un pays à un autre.
Moi qui travaille beaucoup pour des co-éditions franco-étrangères, j'ai déjà dû faire face à des refus ; ainsi, en Asie, on ne veut pas de mes histoires mettant en scène des cochons, et au Japon, ils n'ont pas voulu faire figurer des renards et des blaireaux sur la couverture... Un comble !
LJ :
Les animaux sont très facilement identifiables par leurs silhouettes, mais ils permettent également d'utiliser leurs grandes différences de taille, car ils peuvent être minuscules ou énormes.
A la rigueur, la limite du genre serait atteinte si on représentait des animaux se ressemblant trop, comme une martre et une belette par exemple.
Quels sont vos projets pour les mois à venir ?
ET :
Je dois finir ma série M Blaireau et Mme Renarde pour Dargaud avant de prendre des vacances bien méritées !
LJ :
Après avoir réalisé 24 tomes des aventures de la famille Passiflore, je commence à les adapter en BD.
Je travaille également au tome 3 des aventures de Petit Mardi.
AK :
Je continue à travailler sur les Petites Bêtes, et je développe un long métrage autour de cet univers.
MP :
Le tome 5 du Vent dans les Sables m'attend. Ensuite, on verra...
Grand merci à vous !
(Retrouvez ici et là les comptes-rendus de deux précédentes tables rondes).