Je ne crois pas avoir
encore fait ici à Will EISNER la place qu'il mérite : une des plus haut placées.
Outre le fait qu'il était encore il y a quelques années seulement un des doyens de la bande dessinée, lui qui était né en 1917 et qui dessinait toujours peu de temps avant sa mort en 2005, il fut l'un des plus grands théoriciens du genre, produisant de nombreux ouvrages sur le sujet, dans le souci de faire de la bande dessinée un medium totalement au service de l'expression. Il dispensa des cours pendant de très nombreuses années d'ailleurs.
Un pacte avec Dieu, titre d'une des quatre nouvelles recueillies par les éditions Delcourt, ne déroge pas à la règle qu'il a patiemment établie : tout concourt, case après case, page après page, à conjuguer décors, personnages, lettrages, bords de cases, pour exprimer au mieux la quintessence du récit.
Un récit très particulier dans la bibliographie de Will EISNER, puisque Un pacte avec Dieu fut un de ses premiers pas dans sa nouvelle carrière de biographe du Bronx de son enfance : après une première partie de carrière consacrée au personnage du Spirit et à l'illustration, l'auteur décida en effet de se pencher sur le quartier qui l'avait vu grandir, et qui avait accueilli plusieurs générations d'immigrants.
Un pacte avec Dieu est, en quelque sorte, la première pierre du grand édifice graphique qu'il bâtit au fil des ans, et qu'il regroupa sous le titre-phare de Big City.
New York la grande, l'immense, au plus près des plus petits, des plus humbles, entre les ruelles tortueuses et plutôt sales des quartiers les plus populaires.
"Au 55, Dropsie Avenue, dans le Bronx, à New York, non loin du métro aérien, il y avait cet immeuble... Comme tous les autres, il avait été construit vers 1920, quand les vieilles maisons décrépites du bas Manhattan ne suffisaient plus à loger le flux d'immigrants qui se déversait dans New York après la Première Guerre Mondiale."
Le ton est donné.
Dropsie Avenue sera bigarrée, creuset de toute l'Europe se déversant outre-Atlantique.
Au coeur de ce quartier pauvre et populaire (sic), EISNER porte un regard tout particulier sur la communauté juive, qu'il connaît comme sa poche, de l'intérieur. Et qu'il décrit avec lucidité, humour, et cruauté.
La romance, les affaires, la vie de couple, les espoirs, les arnaques... La vie sous tous ses angles, avec une crudité à laquelle la plupart de ses autres ouvrages ne nous avait pas préparés.
Ainsi, Un pacte avec Dieu montre toute la colère d'un homme qui a mis sa vie au service des autres, et qu'un cruel destin frappe malgré tout.
Chanteur de rue suit les pas, les espoirs, les mensonges et les illusions d'un artiste itinérant qui n'est pas tout blanc et dont l'histoire n'est pas si rose.
Le concierge est une plongée dans les entrailles d'un immeuble et dans le sordide qui peut y sourdre, alimenté par les travers et les tourments de l'esprit humain.
Cookalein brosse, le temps d'un été, les vacances à la campagne, seul ou en famille, pour se changer les idées ou pour trouver le conjoint idéal. Grand jeu de faux-semblants...
Quatre histoires courtes qui transpirent le vécu, un vécu qui colle à la peau, à la réalité, et d'où se diffuse une certaine cruauté : peu d'espoir à la clef, dans un monde noir et tourmenté que le trait inimitable du maître rend à la perfection, le trouble gagnant tous les éléments narratifs, n'épargnant ni les titres, ni la mise en case.
Une forme d'art total, preuve de l'extrême réflexion menée par EISNER sur son médium.
"Les histoires qui suivent décrivent la vie telle qu'elle était dans ces immeubles, pendant les années 30... Les méchantes années trente ! Ces histoires sont toutes véridiques."
Quand la méchante Histoire fait d'excellentes histoires, on en redemande.
Champimages patrimoniales.
JMP 08/10/2010 20:46
Champi 10/10/2010 10:38
JMP 08/10/2010 20:45
Champi 10/10/2010 10:38