Une nouvelle fois, K-BD me permet de me pencher sur toute la BD que j'aime (à lire avec le rythme adéquat !), et sur laquelle je ne reviens pas forcément - ou alors avec une fréquence voisine de celle de la comète de Halley, je vous laisse calculer.
Voici donc un nouveau bain salutaire au royaume d'Alan MOORE, auteur dont je vous rebats les oreilles régulièrement, mais peut-on faire autrement face au plus grand scénariste que la bande dessinée ait connu ? Et je n'exagère pas - j'invite d'ailleurs ici toute personne partageant mon avis à l'exprimer. Quant aux autres... Non, il ne peut y en avoir d'autres...
Nous voilà donc face à un autre monument de papier, que les non-bédéphiles ont pu découvrir il y a quelques années avec son adaptation cinématographique : V pour Vendetta.
Paru dès 1988, ce livre-fleuve n'a malheureusement rien perdu de son actualité...
Londres, novembre 1997. Après une crise mondiale qui a duré plusieurs années, le Royaume-Uni, repris en main par un pouvoir fort et autoritaire (doux euphémisme), est régi par une organisation mécanique et efficace. A sa tête : le Destin, servi par des ramifications organiques et administratives : la Voix, qui diffuse la bonne parole, l'Oeil, qui contrôle chaque coin et recoin d'espace public et privé, le Nez, qui mène les enquêtes, l'Oreille, à laquelle n'échappe aucun chuchotement, et la Main, force policière et de frappe.
Certes, la vie est rude pour les citoyens britanniques, mais peut-il en être autrement après la presqu'Apocalypse qu'a dû affronter le pays ?
Pourtant, toute mécanique, aussi finement huilée soit-elle, rencontre toujours un grain de sable. Surtout lorsqu'elle est machine de guerre plus que d'horlogerie.
Un grain de sable masqué, souriant, maniant le couteau et l'explosif comme personne.
Artisan du Chaos, V fait son apparition. En grande pompe.
Fou irrationnel ? Justicier inespéré ? Romantique lucide ?
Difficile de cerner V, dont les motivations et les actions semblent échapper à toute logique.
Deux personnes, pourtant, se glissent dans ses pas.
Edward FINCH, la tête du Nez (ah ah), qui veut chercher à comprendre, à tout prix.
Et Evey, jeune fille perdue, comme le pays en compte tant, et qui croise la route de V. Pour le meilleur et pour le pire.
D'aucuns pourraient trouver le style graphique de David LLOYD un peu rigide et extrêmement conventionnel. Difficile pourtant d'imaginer V pour Vendetta dessiné autrement : la froideur, la raideur du trait sont un parfait écho à celles de la société mise au pas par un Nouvel Ordre coercitif. La photographie retravaillée s'invite régulièrement dans les cases, offrant, sous forme de vieilles affiches de films ou d'architectures londonniennes, un terrible fond de vérité : et si tout cela n'était pas qu'une fiction... Le trait sait se faire charbonneux lorsque les visages et les corps s'altèrent, et le dépouillement est alors de mise. Une fois encore, Alan MOORE a su tirer le meilleur parti de son collaborateur.
Le scénario est, comme toujours avec le maître anglo-saxon, terriblement efficace : le temps se pose, se dépose, se décompose, laissant aux destins tout loisir de se développer ou de se détruire.
La musique, omniprésente dans l'album, déroule une symphonie scénaristique parfaitement orchestrée, berçant le lecteur d'un rythme dont il est difficile de s'extraire.
Car la partition est riche et finement millimétrée, faisant sourdre sous la fiction... de tristes et contemporaines réalités : état policier, disparition du libre arbitre, situation de crise liberticide... Comme un amer goût d'actualité.
Les roses de l'anarchie que V cultive précieusement et offre avec acidité blessent par leurs épines, mais embellissent le monde par leur fragrance et leur robe. Sublimation d'une vengeance personnelle devenue universelle et idéologique, elles ont un double visage effrayant de contradictions. Feront-elles du monde un jardin ou un charnier ?
A moins que les deux ne soient déjà là, sous nos yeux, mais que ceux-ci ne soient fermés depuis bien trop longtemps.
Ne manque qu'un masque pour nous les rouvrir.
Qui a dit que la logique était la solution ?
Le V ne cache pas que la Vendetta...
Champimages pour ne pas oublier