Quelque part sur un lac, au bord d'une crique, dans le froid et le silence, flotte un pédalo rouge, mutique, corps étranger.
A son bord, une silhouette frêle et longiligne, qui hésite, se penche, se jette à l'eau.
Au bout de quelques brasses, entre les pins, elle se retrouve nez à nez avec une immense et géométrique maison rouge en surplomb, en équilibre, en vertige.
Damien vient de faire irruption chez Sonia et Mattew, son fils adolescent.
Damien vient surtout de mettre les pieds dans une maison où plane et pèse le fantôme de son créateur, artiste sculpteur disparu dont ni le paysage ni les proches n'arrivent à se défaire.
Mattew a invité un copain à rester, Sonia reçoit deux amis, dont l'agent de feu son mari, tout est en place pour que le huis-clos commence.
Un léger vent se lève...
De l'art, des secrets, et des relations humaines troublées.
Voilà ce que charrie La fille de l'eau, au gré de ses pages sans bords de cases.
Les aquarelles ternes noient décors et personnages dans une triste grisaille aussi pesante que l'ambiance qui règne dans la villa du bord du monde.
Seules respirations étouffantes : les immenses sculptures dont l'artiste a parsemé son domaine, blocs géométriques de couleurs pures dans lesquels les personnages se cherchent et surtout se perdent.
Convenons-en : l'histoire mise en scène par Sacha GOERG est assez conventionnelle, entre les petits secrets de chacun et les interactions attendues. L'auteur réussit toutefois un beau tour de force dans la manière/matière dont il met en scène les oeuvres de l'artiste disparu. Ces constructions tantôt colossales, tantôt minimales, blocs de matière (sans doute métallique) et de couleurs brutes, ne sont pas sans rappeler les oeuvres de Donald JUDD, et de manière générale celles de la génération des sculpteurs étasuniens des années 60.
Par ses choix formels (la géométrie pure face à la nature) et chromatique (la couleur numérique face à l'aquarelle), l'auteur confère à ces créations une densité et une présence d'une puissance incroyable.
L'apparition du "fantôme" de l'artiste, par moments, est presque superflue, tant il survit et intervient à travers ses oeuvres.
Tenant autant du récit initiatique que du drame de moeurs, La fille de l'eau est avant tout un parfait et dense hommage à l'art, qui sait mettre à son service tous les moyens dont dispose la bande dessinée pour lui donner une place à part et un impact imparable.
Un peu comme ANDREAS avait sur le faire dans Le Triangle Rouge, ou François HENNINGER avec cent mètres carrés.
Une belle expérience à vivre au fil de l'eau.
Champimages qui s'affrontent et s'étouffent.