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La Ligue des Gentlemen Extraordinaires - Century - Tome 2 s'achevait dans un magma psychédélique et polychrome qui devait permettre à Wilhelmina Murray d'arrêter les germes de l'Apocalypse que le mage Oliver Haddo tentait de semer. 1969 battait son plein et, somme toute, tout allait bien. (Si vous trouvez que je démarre un peu trop vite et un peu trop fort, ce qui est la moindre des choses quand il s'agit d'évoquer cette série, le mieux est encore d'aller faire un petit tour ici, pour mémoire).
40 ans ont passé.
Quarante tristes années durant lesquelles Mina (Wilhelmina) a disparu, Allan (Quaterman) aussi, et Lando (Orlando), sombrant dans la tristesse et la folie (pléonasme ?) s'est réfugié/e dans ce qu'il/elle sait faire de mieux, depuis trois mille ans : la guerre. Jusqu'à l'ivresse.
Cela aurait sans doute pu durer encore des décennies (ce ne sont pas les zones de conflits qui manquent...) si Prospero, le Duc de Milan en personne, n'était pas apparu en direct et en 3D au porteur d'Excalibur (Orlando, suivez un peu !) pour lui ordonner de se remettre en travail : "Où est ma ligue à l'heure du Jugement Dernier ?"
Eh oui ! Malgré tous les efforts stupéfiants (ah, ah) déployés dans les années 60, l'Antechrist a quand même été engendré, et son heure est venue.
Incombe alors au guerrier éternel de remettre la main sur les autres membres d'une Ligue bien mal en point (qu'elle semble loin celle qui défia fièrement Moriarty dans le ciel de Londres !) et qui ne croit plus en rien, désabusée sans doute par ce qu'elle a entrevu derrière le voile soulevé par l'immortalité.
Cette quête nous ramène des lieux croisés dès la première heure de la série (l'imposant siège des services secrets britanniques, une maison d'éducation pour jeunes filles déviantes devenu centre pour le bien-être psychiatrique...) tandis que, de loin en loin, les monstres du Docteur Moreau, le descendant de Nemo ou les restes des tripodes martiens nous rappellent combien l'histoire de la Ligue - et de l'Angleterre - fut riche.
Le groupe de nouveau réuni, les pistes sont minces et l'avenir sombre (pour changer) : "Je n'avais pas réalisé à quoi ressemblait le monde maintenant. On... On dirait l'ère victorienne. Je-Je pourrais presque me sentir chez moi, ici."
Bienvenue au XXI°s, Mina.
Seule piste à suivre : celle que Norton, moins énigmatique que jamais, leur soumet.
"Norton, il nous fait de l'aide. Vraiment.
_ De la part d'un squelette de dentiste nazi qui hante King's Cross en crachant des phrases adverbales ? Vous devez être désespérés."
King's Cross.
Noeud d'espace et de temps de ce Londres si cher à Alan MOORE (replongez-vous dans From Hell), carrefour de tous les mythes et dénouement de toutes les tragédies.
La fin commence sur un quai.
Alan MOORE, puits de sciences, d'histoires, de mémoire (je vous renvoie à la lecture du récent La coiffe de naissance, d'ailleurs) achève en beauté ce deuxième cycle et, d'une certaine manière, son diptyque (qui mérite cette appellation si l'on laisse de côté le Black Dossier).
Un peu moins rythmé et haletant que le premier (cycle), Century balaie le XX°s (à quelques poussières de temps près) en sortant des sentiers classiques pour frapper tous azimuts dans la culture au sens toujours plus large (bien qu'éminemment livresque tout de même).
Si certaines références échappent sans aucun doute aux lecteurs français que nous sommes, le scénariste réussit le magistral tour de force de faire le grand écart entre les grandes figures lovecraftiennes (l'ombre de Yoh-Sothoth plane depuis un tome) et les nouvelles idoles des jeunes (lecteurs), invitant en guise d'apothéose un personnage tutélaire de l'essence londonienne,et n'oubliant pas, en fil conducteur, l'Opéra de quat'sous qui nous avait cueilli dès le tome 1.
Kevin O'NEILL, fort de son trait toujours aussi anguleux, s'en donne à coeur joie aussi bien pour distiller l'étrangeté malsaine des lieux et de ceux qui les hantent que pour brosser des architectures dantesques.
Nourri lui aussi d'influences graphiques et culturelles polymorphes, il dresse des bas-fonds un portrait toujours plus visqueux et couvert d'affiches, et sait comme personne boursouffler les chairs sous les coups de la douleur et de la monstruosité.
Bien sûr, la conjonction des deux talents pourrait parfois passer pour un exercice de style gratuit par l'accumulation des références (les traquer dans les moindres cases reste un plaisir rare).
Pourtant, la justesse de leur analyse (grandes figures culturelles d'hier et d'aujourd'hui), l'exubérance des situations (grand spectacle pyrotechnique à la clef !) et la gravité de leur ton (il n'y a plus d'espoir) composent un cocktail étonnant et efficace.
Alan MOORE reste le plus grand scénariste de BD de tous les temps et un observateur précis et décalé de notre siècle, imprégné de toutes les facettes possibles de ce qui fait le monde aujourd'hui.
C'est en cela que la Ligue - Century est incontournable : par la relecture qu'elle offre de notre histoire et de nos héros.
Champimages éclectiques et électriques.