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Le petit "mois" FRANQUIN que nous sommes en train de vous concocter sur k.bd nous offre l'occasion de nous replonger dans les chefs-d'oeuvre du maître.
Si Spirou & Fantasio ou Gaston Lagaffe restent ses personnages et ses séries phares, difficile de ne pas mentionner également ses Idées Noires, olni aussi bien au vu de la production BD de l'auteur que de celle de l'époque.
L'époque, en l'occurrence, ce sont les années 1970. Riches en urbanisation galopante et pollution déjà mondialisée (deux crises pétrolières sont passées par là), elles tremblent aussi des soubresauts de la Guerre Froide et de ses innombrables conséquences géopolitiques.
Riches également des oeuvres de CABU (Le Grand Duduche), REISER (La Vie au grand air) ou GEBE (L'An 01), elles vibrent des élans pacifistes (voire anti-militaristes), écologistes et humanistes qui irriguent toute une partie de la production artiste d'alors.
Attentif à son époque et à ses contemporains, comme il l'a souvent montré dans Gaston Lagaffe, FRANQUIN ne pouvait passer rester indifférent face à un monde toujours plus violent, sale, agressif et individualiste... (toute ressemblance avec notre époque etc...)
Alors que son garçon de bureau à mèche longue et pull-over vert affrontait tout cela avec détermination poétique et ténacité bricoleuse, FRANQUIN semblait en souffrir silencieusement mais sûrement, broyant du noir avec la mine fatiguée qu'on lui découvre sur la couverture de l'édition intégrale.
Epaulé par Yvan DELPORTE (complice de longue date), ROBA, LUCE ou GOTLIB, il nous offre une soixantaine d'histoires courtes (d'une demi-page ou une page, essentiellement) qui brassent, dans le désordre et avec récurrence, des attaques en règle contre l'armée, les industriels, les marchands de mort, la religion, les pollueurs, le nucléaire, les bétonneurs, la peine de mort et ses aficionados, les chasseurs, les amateurs de corrida... Longue liste où la cruauté et l'absurde se disputent des récits sans espoirs même si, parfois, les cibles sautent, explosent, coulent, s'écrasent...
Défouloir ou océan de larmes, ces Idées noires révélèrent au grand public une facette méconnue de l'artiste, dont l'humour était donc peut-être le seul moyen de défendre. Une sorte de "rire de résistance" cher aux plus lucides.
Graphiquement, la souplesse de son trait et la justesse des mouvements semble à leur comble. L'exagération de bien des postures, expressions, situations, lui permet d'en rajouter dans l'élasticité des corps et des visages et de teinter de maestria l'absurde ou l'horreur de bon nombre d'histoires.
Le parti pris noir et blanc (ou plutôt noir et noir...) découpe des silhouettes charbonneuses, inquiétantes, anonymes ou en lambeaux qui font écho au titre de l'ensemble.
L'humour, toujours, se terre dans les surtitres (signés DELPORTE) ou les signatures vivantes de FRANQUIN lui-même, mais le tout laisse un arrière-goût de cendre dans nos yeux de lecteurs trop empreints d'actualité : le monde des Idées Noires évoque bien trop le nôtre pour nous laisser indifférents.
A l'instar de nombreux dessins "humoristiques" de QUINO, ceux de FRANQUIN ont parcouru les décennies sans prendre une ride, démontrant ainsi leur force tout autant que nos faiblesses.
Ne nous reste plus qu'à ricaner comme la mouette de Gaston dont les yeux étaient peut-être usés par trop de lucidité.
Champimages en noir et noir.