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  • : La Tanière du Champi
  • : La Tanière du Champi se veut un lieu où l'on se sent bien pour lire (surtout des BD !), discuter, jouer... Au gré des humeurs, lectures, heures de jeu, j'essaierai de vous faire découvrir tout ce qui se cache sur les étagères poussiéreuses de ce petit mo
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Cases dans le vent

Vous n'êtes pas sans savoir que, depuis quelques mois, je rédige des biographies d'auteurs de BD pour des l'encyclopédie en ligne des Editions Larousse.

Afin de vous permettre de retrouver plus rapidement l'ensemble de mes contributions, je vais essayer de les lister ici dans l'ordre de leur parution.

Bonne lecture, et n'hésitez pas à me laisser vos avis !

Champi à tout vent

David B. - Edgar .P. JACOBS - Bob de MOOR - Benoît PEETERS - François SCHUITEN - René GOSCINNY - Astérix - Manu LARCENET - HERMANN - Robert CRUMB - Osamu TEZUKA  - Jean-Pierre GIBRAT -





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12 avril 2016 2 12 /04 /avril /2016 16:03
Idées noires*

Le petit "mois" FRANQUIN que nous sommes en train de vous concocter sur k.bd nous offre l'occasion de nous replonger dans les chefs-d'oeuvre du maître.

Si Spirou & Fantasio ou Gaston Lagaffe restent ses personnages et ses séries phares, difficile de ne pas mentionner également ses Idées Noires, olni aussi bien au vu de la production BD de l'auteur que de celle de l'époque.

L'époque, en l'occurrence, ce sont les années 1970. Riches en urbanisation galopante et pollution déjà mondialisée (deux crises pétrolières sont passées par là), elles tremblent aussi des soubresauts de la Guerre Froide et de ses innombrables conséquences géopolitiques.

Riches également des oeuvres de CABU (Le Grand Duduche), REISER (La Vie au grand air) ou GEBE (L'An 01), elles vibrent des élans pacifistes (voire anti-militaristes), écologistes et humanistes qui irriguent toute une partie de la production artiste d'alors.

Attentif à son époque et à ses contemporains, comme il l'a souvent montré dans Gaston Lagaffe, FRANQUIN ne pouvait passer rester indifférent face à un monde toujours plus violent, sale, agressif et individualiste... (toute ressemblance avec notre époque etc...)

Alors que son garçon de bureau à mèche longue et pull-over vert affrontait tout cela avec détermination poétique et ténacité bricoleuse, FRANQUIN semblait en souffrir silencieusement mais sûrement, broyant du noir avec la mine fatiguée qu'on lui découvre sur la couverture de l'édition intégrale.

Epaulé par Yvan DELPORTE (complice de longue date), ROBA, LUCE ou GOTLIB, il nous offre une soixantaine d'histoires courtes (d'une demi-page ou une page, essentiellement) qui brassent, dans le désordre et avec récurrence, des attaques en règle contre l'armée, les industriels, les marchands de mort, la religion, les pollueurs, le nucléaire, les bétonneurs, la peine de mort et ses aficionados, les chasseurs, les amateurs de corrida... Longue liste où la cruauté et l'absurde se disputent des récits sans espoirs même si, parfois, les cibles sautent, explosent, coulent, s'écrasent...

Défouloir ou océan de larmes, ces Idées noires révélèrent au grand public une facette méconnue de l'artiste, dont l'humour était donc peut-être le seul moyen de défendre. Une sorte de "rire de résistance" cher aux plus lucides.

Graphiquement, la souplesse de son trait et la justesse des mouvements semble à leur comble. L'exagération de bien des postures, expressions, situations, lui permet d'en rajouter dans l'élasticité des corps et des visages et de teinter de maestria l'absurde ou l'horreur de bon nombre d'histoires.

Le parti pris noir et blanc (ou plutôt noir et noir...) découpe des silhouettes charbonneuses, inquiétantes, anonymes ou en lambeaux qui font écho au titre de l'ensemble.

L'humour, toujours, se terre dans les surtitres (signés DELPORTE) ou les signatures vivantes de FRANQUIN lui-même, mais le tout laisse un arrière-goût de cendre dans nos yeux de lecteurs trop empreints d'actualité : le monde des Idées Noires évoque bien trop le nôtre pour nous laisser indifférents.

A l'instar de nombreux dessins "humoristiques" de QUINO, ceux de FRANQUIN ont parcouru les décennies sans prendre une ride, démontrant ainsi leur force tout autant que nos faiblesses.

Ne nous reste plus qu'à ricaner comme la mouette de Gaston dont les yeux étaient peut-être usés par trop de lucidité.

Champimages en noir et noir.

Idées noires*
Idées noires*
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18 février 2016 4 18 /02 /février /2016 22:50
Vie de Mizuki - T1 L'Enfant*

Toujours sur la lancée de notre thème "BD et enfance", sur k.bd, nous prenons un peu le large vis-à-vis de l'Europe pour nous orienter (ah, ah) vers le Japon.

S'il est un nom de mangaka que l'on a souvent entendu en France depuis une dizaine d'années, c'est bien celui de Shigeru MIZUKI. Remarqué et primé à Angoulême en 2007 pour son étrange et notable NonNonBâ, il a bénéficié du talent, de la patience et de la constance des éditions Cornélius qui nous ont ainsi fait profiter des ouvrages marquant de son oeuvre (Kitaro le repoussant, Opération Mort, Hitler...).

Une bonne partie de sa production, à commencer par NonNonBâ, porte la marque de la vie peu commune qu'il mena : enfance peuplée de yôkai (les esprits du folklore japonais), jeunesse marquée par la deuxième Guerre Mondiale... Toutefois, en 2001 (date de sa première publication au Japon) Shigeru MIZUKI entama la rédaction d'une véritable autobiographie dessinée, sobrement intitulée Vie de Mizuki.

Voici un aperçu de son premier tome : Enfant.

"La légende raconte que je suis né à Sakaï-minato, dans le département de Tottori.

Mais en réalité...

Je suis né à Osaka, dans un endroit appelé le "Village Kohama"...

... le 8 mars 1922."

[Nous pourrons remarquer que la 2ème de couverture de ce même ouvrage indique que l'auteur est né... à Sakaï-minato. La légende perdure bel et bien !]

Fils d'une femme au foyer et d'une homme d'affaires à tout faire, Shigeru, surnommé Gege par ses amis, est le 2ème garçon d'une fratrie de trois.

Rêveur ("J'ai la manie de me poser des questions et d'y répondre moi-même. C'est pour cela que je n'ai pas parlé jusqu'à l'âge de quatre ans"), insouciant et gourmand ("J'estimais que l'univers tout entier était comestible") dès les premiers mois, il le resta durant plusieurs années. Un peu à l'image de son père.

Peu porté sur l'école - un autre de ses traits caractéristiques qui le suivit toute sa vie ! - le jeune MIZUKI évolue entre les nombreux livres et magazines de son père (ce dernier rêvant d'écriture) et les récits peuplés d'esprits de la grand-mère qui le garde souvent (la fameuse "NonNonBâ").

La vieille dame lui ouvre les portes d'un monde richement peuplé situé au seuil de notre conscience et de nos sens : M. Beto Beto, Azuki-akan, Otoroshi... Tous plus nombreux, hideux, cachés, mystérieux, parfaits pour expliquer l'inexpliqué (les tâches humides au plafond, le bruit dans le grenier...) et à enseigner le respect aux plus jeunes. Quitte à leur faire perdre le sens des réalités.

Il faut bien reconnaître que la réalité n'est pas des plus tendres avec le jeune garçon : sa famille est frappée de plein fouet par la crise économique mondiale (de 1929) et les bagarres entre plus jeunes et plus vieux ou entre bandes rivales sont particulièrement violentes.

Mais le petit Shigeru a la chance d'avoir un père certes insouciant mais porté sur la culture et les arts : il permet à son fils de lire la mythique revue Shonen Jump (qui publie des histoires pour les plus jeunes) et surtout il achète un projecteur pour permettre aux villageois de profiter des films et dessins animés qui, depuis peu, sont doués de parole.

Un fait notable qui n'est pas sans rappeler la vie d'un autre pilier de l'histoire des manga : Osamu TEZUKA. Les deux enfants - qui n'ont que 6 ans d'écart - partagent d'ailleurs également une même passion pour les insectes. Mais cessons là le jeu des comparaisons.

Entre mauvais résultats scolaires - MIZUKI est incapable de se lever le matin, donc incapable de suivre correctement les cours -, humiliations par les plus âgés et pauvreté domestique (son père ne cesse de courir après le travail, parfois très loin de leur village), le jeune garçon passe beaucoup de temps à se promener, errant parfois sans but, mais l'esprit toujours occupé.

"J'espérais pouvoir rencontrer un jour, au cours d'une promenade, les monstres tapis dans les montagnes et les champs, ou les kappas dans les rivières."

L'insouciance du personnage dénote d'avec le contexte toujours plus tendu dans lequel il évolue : conflit avec la Chine, la Russie, bientôt les Etats-Unis, la Japon ultra-militariste et fanatique vis-à-vis de l'empereur tremble également de l'intérieur à travers de nombreux coups d'Etat.

Pourtant, c'est peut-être sa totale lucidité à ce sujet (après tout, sa mère lit et commente les journaux à longueur de journée) qui lui fait inconsciemment adopter son détachement : "Que vas-tu devenir ? _ Ne t'en fais pas. La guerre décidera pour moi."

Il n'a pas tort. La guerre l'emporte et apporte avec elle son lot de privations et surtout d'humiliations. L'enfance s'éloigne à toute vitesse.

Cette histoire fleuve (près de 500 pages pour ce seul premier tome, dont de nombreuses notes et une petite chronologie pour ne pas s'y perdre) est servie avec le grand écart graphique auquel l'auteur nous a habitués : les scènes familières le représentant lui ou ses proches sont traitées avec le trait caricatural qui le caractérise tandis que les éléments historiques (affiches de films, hommes politiques, images de guerre) reprennent avec un réalisme tout photographique l'iconographie de l'époque.

L'auteur promène sa tête ronde immanquable dans de somptueux décors naturels ou des gros plans à l'exagération propre aux productions nippones.

Sa galerie de personnages secondaires est hilarante de difformités (nez énormes, têtes cabossées...) et les épisodes scatologiques (sorties nocturnes aux toilettes, problèmes intestinaux...) ne sont pas passés sous silence (ah, ah), le tout visant sans doute à désamorcer par le rires et la caricature une réalité somme toute assez rude.

Ce récit est porté par trois voix qui s'interpellent parfois : le petit garçon en pleine action, le vieux mangaka assis à son bureau et un... avatar (?), mi-homme, mi-chat, qui commente le tout. Si l'on y ajoute les deux vieillards qui évoquent, de temps en temps, l'actualité géo-politique mondiale, on peut constater que Shigeru MIZUKI a adopté une narration moderne et extrêmement dynamique.

Par l'ensemble des sujets qu'elle aborde et la manière dont elle les traite, cette Vie de Mizuki vaut donc autant pour les informations qu'elle nous livre sur l'auteur et sur la vie au Japon dans ces années-là que pour la manière dont les voix se font écho pour la raconter.

Une première pierre narrative qui fait écho à Gen d'Hiroshima ou Une sacrée mamie pour en savoir un peu plus sur la vie des futurs mangaka à travers le XX°s au Japon.

Derniers feux médiatiques en date pour l'auteur : l'annonce de son décès en novembre 2015. Après une vie plus que bien remplie et mouvementée, il a tiré sa révérence, laissant derrière lui une oeuvre conséquente et atypique, réécriture constante de cette vie "entre rêve et réalité" qu'il semble n'avoir jamais tout à fait quittée.

Champimages d'archives.

Vie de Mizuki - T1 L'Enfant*
Vie de Mizuki - T1 L'Enfant*
Vie de Mizuki - T1 L'Enfant*
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16 février 2016 2 16 /02 /février /2016 16:11
It is not a piece of cake* - Chronique express

Vous avez aimé Le Chat du kimono et Tea Party ? Vous en reprendriez bien une tasse ? Qu'à cela ne tienne, et si vous goûtiez plutôt de ces délicieux black shortbreads ? Il ne vous en coûtera que la recherche de la recette car, voyez-vous, malheureusement, elle a été perdue. Tant de temps a passé depuis l'époque heureuse où mère en cuisinait pour ses deux adorables enfants, Victor le tendre et Percy le perspicace.

Lequel des deux retrouvera le premier la recette disparue ? Retourner entre les hauts et sombres murs écossais de Montrose Castle sera-t-il suffisant ? Beaucoup de morts y errent, de souvenirs y flottent et de rancoeurs y croupissent... Et la langue acérée d'Alice Barnes, la dame au kimono et au chat déjà croisées par le passé, n'arrangera sans doute pas les choses.

L'enjeu de la chasse à la recette est bien plus qu'un simple goûter : au coeur d'un pari entre deux lords aussi joueurs que riches, ces black shortbreads sont autant une question de goût que d'honneur.

Mais les deux frères Neville ne concourent pas à égalité : en tant qu'invité de Miss Barnes, Percy bénéficie d'un accueil chaleureux et d'une place de choix tandis que Victor doit se contenter d'évoluer parmi le petit personnel.

"Ca ne va pas être de la tarte", présage-t-il en préambule.

C'est le moins que l'on puisse dire.

D'autant que les hallucinations, migraines et absences auxquelles il est sujet n'arrangeront pas ses affaires.

Cuisine, bibliothèque, lande, chambre maternelle... Où la clef du mystère repose-t-elle ? Et ces petits gâteaux, madeleines des Highlands, ne seraient-ils pas à leur tour la clef d'un secret bien plus grave et bien mieux gardé ?

De thé en chat, Nancy PEÑA balade héros et lecteurs avec malice et virtuosité graphique. Si le félin et son kimono sont moins présents, la perspicacité de l'un et le rouge vif de l'autre baignent It is not a piece of cake du charme et du mystère qui lui confèrent un petit air de CONAN DOYLE ou CHRISTIE.

Le trait vibre, le chat vit, l'étrange s'invite comme s'il était chez lui dans cette Ecosse plus que jamais fantomatique.

Entre les genres et les époques, porté par la verve des joutes verbales et l'éclat des lignes, ce récit conjugue intrigue et élégance avec le parfait dosage de ces recettes que l'on recherche lorsque sonne l'heure du tea time.

D'ailleurs, n'entends-je pas sonner cinq coups ?

Champimages qui miaulent en noir et sang.

It is not a piece of cake* - Chronique express
It is not a piece of cake* - Chronique express
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16 février 2016 2 16 /02 /février /2016 15:10
Le jour le plus long du futur - Chronique express

Dans un futur en cinquante nuances de rouge et de bleu, deux empires économiques et commerciaux se partagent le monde : lapin blanc (sur fond bleu) et cochon noir (sur fond rouge).

Immeubles, ruelles, machines, vêtements, humains... tous portent l'une ou l'autre marque, inféodés de gré ou de force à l'une des deux factions. Chacune ne pouvant supporter l'existence de l'autre (dont la chute entraînerait un doublement définitif des parts de marché !), elles cherchent un moyen de réduire à néant le plus que concurrent : l'adversaire.

Côté lapin (dont le salut index et majeur levés rappelle les fières oreilles), une mystérieuse valise tombée du ciel fera l'affaire : à peine ouverte, elle avale ceux qui l'approchent ou, pire, laisse aller ses tentacules destructeurs où bon lui semble. Il suffit qu'un plus ou moins volontaire, désigné par le "mauvais café", la dépose au coeur de l'empire rouge et noir et tout sera réglé.

Côté cochon (dont le salut index et auriculaire levés évoque les nobles oreilles), l'arme sera choisie à l'issue de l'affrontement de quatre robots-tueurs mis au point par les meilleurs chercheurs. Si besoin, un simple robot ménager (entendez par là : programmé pour faire le ménage) fera l'affaire.

Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait la destruction, le match entre la valise bleue et le robot rouge peut commencer. Tremble, monde soumis. La guerre des géants ne se souciera pas de toi.

Découvert avec le déroutant Diagnostics, Lucas VARELA nous livre,avec Le jour le plus long du futur, une fable somme toute classique portée par une foule de petites inventions visuelles du meilleur effet.

Sans doute nourri par le cinéma de science-fiction des années 60-70, l'auteur espagnol se plaît à peupler ce monde de demain de bâtiments et machines de toute beauté. Au service de l'humain et de son asservissement, caméras, écrans et bras articulés et télescopiques peuplent un environnement hostile, aseptisé et policé dans lequel l'autre est montré comme un barbare sanguinaire. Mais comme le disait DESPROGES, "l'ennemi est bête, car il croit que c'est nous l'ennemi, alors que c'est lui."

Graphiquement, VARELA s'en donne à coeur joie, avec son trait rond, en designs (retro)futuristes, les deux marques opposées lui offrant mille occasions d'agrémenter objets et tenues de couleurs et d'oreilles signifiantes.

Souplesse des tentacules et des rayons lasers envahissent les cases, agents du chaos détournant parfois les codes mêmes du médium (Diagnostics n'est donc pas très loin).

Livre sans paroles dont la fluidité n'a d'égal que le potentiel de relecture, tant l'univers est riche de détails soignés mais jamais envahissants, Le jour le plus long du futur, s'il délivre des messages relativement classiques sur l'asservissement des masses et la toute puissance des géants de l'agro-alimentaires, de la malbouffe et de la grande distribution, le fait avec une élégance et une efficacité qui rappellent parfois la Lorna de BRÜNO.

Elégante filiation.

Champimages de demain.

Le jour le plus long du futur - Chronique express
Le jour le plus long du futur - Chronique express
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15 février 2016 1 15 /02 /février /2016 13:26
L'arabe du futur T1

Encore placés sous le thème de l'enfance, sur k.bd, nous passons de Marzi à Riad. Pas vraiment un autre temps - les deux auteurs sont presque contemporains - mais résolument d'autres moeurs, puisque nous glissons de la Pologne au bassin méditerranéen, L'arabe du futur nous promenant entre la France, la Libye et la Syrie (deux pays qui nous rappellent combien le "y" est voyageur, et qui me permettent de constater qu'une carte géographique reste le meilleur moyen mnémotechnique de se rappeler que le "y" de Libye comme de Syrie se situe dans la direction de la Grèce pour chacun de ses deux pays. CQFD).

C'est donc l'histoire du jeune et blond Riad (plus connu de nos jours sous le complet vocable de Riad SATTOUF) que nous suivons pas à pas, depuis la rencontre de ses parents à Paris du temps de leurs études (au début des années 1970) au retour de la famille en Syrie en 1984.

Papa Sattouf, Abdel-Razak, "élève brillant [qui] avait reçu une bourse pour étudier à la Sorbonne" y fait donc la rencontre de Maman Sattouf, Clémentine, qui "avait eu pitié de lui [et] était allée au rendez-vous à la place de sa copine."

Thésard en histoire contemporaine, Abdel-Razak suit de prêt l'actualité française grâce à la télévision pompidolienne, l'actualité internationale grâce à RMC et les commente toutes deux à voix haute du soir au matin, très concerné par la géopolitique au Proche Orient. "Je changerais tout chez les arabes. [...] Je serais un bon président." Malgré sa haute opinion de lui-même, il décline la proposition d'un poste à Oxford ("Oxford !!! La classe !!!") pour accepter celui dont il avait fait la demande à Tripoli, en Libye.

"Mon père était pour le pan-arabisme. Il était obsédé par l'éducation des Arabes. Il pensait que l'homme arabe devait s'éduquer pour sortir de l'obscurantisme religieux."

Voilà donc les trois Sattouf - car le petit Riad est né entre temps - partis pour s'installer dans la Libye de Kadhafi,Le Guide, qui a profondément modifié la société de son pays.

"Le Guide a aboli la propriété privée. Dans notre état des masses populaires, les maisons sont à tout le monde."

Donc pas de serrure. Juste un loquet à l'intérieur.

"Ta femme n'aura qu'à fermer le loquet dans la journée."

Au temps pour l'émancipation féminine. Mais pas de loquet = pas de chez soi.

Ainsi se dessine le monde autour du petit Riad : repousser les personnes qui poussent la porte quand le loquet n'est pas fermé, écouter son père lire "le petit livre vert" de Kadhafi, et jouer avec ses voisins tous deux fascinés par l'inhabituelle blondeur de sa chevelure.

Le tout dans les tons jaune-orangé d'une enfance libyenne où il avait "beaucoup de mal à faire la différence entre le rêve et la réalité, surtout la nuit."

Il faut dire que la réalité n'était pas toujours tendre, particulièrement au moment des files d'attente pour faire les courses (preuve que, de part et d'autre de la Méditerranée, les années 80 ont parfois eu un air de famille).

Et que cette réalité, mâtinée d'exotisme français, pouvait engendrer des représentations aussi étranges que drôles : "Je ne comprenais pas ce mot. Mais depuis ce jour, quand j'entends "Dieu", je vois la tête de Georges Brassens."

Toutefois, le jeune Riad avait pour principale idole son propre père, un homme "fantastique", capable de lancer à la main une balle de tennis par dessus leur immeuble, de dessiner une Mercedes sans modèle et sans erreur, et de cueillir les "toutes" (les mûres arboricoles) comme personne.

Après la Libye, la famille s'envole vers la France, avec la Syrie pour horizon.

Six années bien mouvementées pour le petit Riad, donc, qui goûte peu à l'école et bénéficie du cocon familial et des jeux d'enfants.

Un cocktail qui se révèle pourtant bien amer lorsqu'il fait la connaissance de ses cousins syriens plus âgés et surtout très bruns : pour eux, la blondeur du petit "Français" est la marque incontestable de son judaïsme.

Les conflits des adultes s'immiscent alors dans la quotidien des enfants...

Succès critique et public dès sa sortie, pour le premier comme le deuxième opus, l'Arabe du futur fait partie de ces chroniques de l'enfance qui conjuguent regard décalé, critique socio-politique indirecte et exotisme.

Le décalage naît du regard à hauteur d'enfant, fasciné par certains adultes, effrayé par d'autres, et parfois bien en peine pour distinguer ce qui est réel et ce qui ne l'est pas.

La critique naît de l'exposé (apparemment) objectif et surtout sans parti-pris (contrairement à Marjane SATRAPI, par exemple) qui est fait sur la vie libyenne puis syrienne, paradis déchus d'une certaine forme de communisme.

Et l'exotisme affleure parce que cette enfance "de l'autre côté de la mer Méditerranée" distille des petites doses de familiarité (petits soldats en plastique sur le tapis et robots géants à la télé) au milieu d'un océan d'incroyable (vétusté des immeubles, des rues, conditions de vie rudimentaire...) qui fait écho à ce que les actualités étalaient sur nos petits écrans français à cette époque.

Graphiquement, Riad SATTOUF use de ce minimalisme efficace que l'on pourrait presque appeler "Ligne de l'Association" et qui sert son propos en toute fausse simplicité.

Le trait est souple, toujours expressif, et ne surcharge jamais l'image.

Les aplats noirs sont rares (une chevelure, un vêtement, un carrelage) rendant l'univers du petit garçon moins agressif que celui de la jeune Marjane ou de la jeune Zeina (ABIRACHED).

Chaque pays dispose de sa monochromie (bleue pour la France, orangée pour la Libye, rose pour la Syrie), rehaussée parfois d'un éclat de rouge ou de vert vif pour souligner un détail ou une intensité (un livre, un jouet, un cri).

La quatrième de couverture est d'ailleurs très graphique, donnant à ces couleurs saturées un poids visuel et symbolique fort.

Témoignage frais et riche se voulant dépouillé de tout parti-pris (c'est en tout cas ce que laisse toujours supposer une narration à hauteur d'enfant), l'Arabe du futur doit peut-être son succès, au-delà de ses qualités intrinsèques (histoire, narration, dessin) à l'écho qu'il nous renvoie de l'actualité des dernières années, forte des "printemps arabes" et des guerres civiles qui continuent de faire la une de nos journaux et de faire trembler le monde bien au-delà des rivages de la Méditerranée.

Loin de toute forme de manichéisme, Riad SATTOUF brosse le portrait de sociétés et de personnalités complexes (à commencer par celle de son père, autant pétri d'envie de réussite sociale que d'idéaux) qui, à défaut de nous rassurer, nous éclaire sur nos proches voisins avec une certaine honnêteté.

A suivre dans le tome 2.

Champimages d'enfant sage.

L'arabe du futur T1
L'arabe du futur T1
L'arabe du futur T1
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25 janvier 2016 1 25 /01 /janvier /2016 11:05
Marzi T1

Après deux mois consacrés à l'actualité BD, k.bd se replonge dans les mois à thème qui ont fait sa réputation.

Au programme en février - il faut donc bien un peu anticiper ! - "Enfance", à travers des livres relatant l'enfance (justement) du narrateur.

Ou de la narratrice, en ce qui concerne Marzi, jeune fille qui nous entraîne dans la Pologne des années 80.

Un pays et une époque dont nous avons sans doute une image un peu caricaturale, faite de froid, de files d'attente, de froid, de pouvoir central oppressant, de froid, de privations, de froid et d'une religion sans aucun doute omniprésente et pesante (et de froid).

J'ai donc abordé le tome 1 (de cette série qui en compte 6, réalisés entre 2005 et 2011) en espérant pouvoir faire voler en éclat mes idées reçues.

Marzi - avatar de Marzena SOWA, la scénariste - habite un grand et gris HLM. Une ou deux chambres par appartement, six étages, un ascenseur qui fonctionne et qui offre mille occasions de jouer aux nombreux enfants qui y vivent et qui font de la cage d'escalier leur terrain de jeu quand il fait trop froid (comment ça, j'insiste ?).

La vie semble rythmée par les jeux avec les voisins et par l'utilisation des tickets de rationnement qui permettent - quand les magasins ont été livrés - d'avoir de la viande, des oranges ou du pain. Le tout est d'avoir la patience d'attendre en files disciplinées et d'espérer que les stocks seront suffisants pour pourvoir aux besoins de tous les clients.

Quand elle ne joue pas avec ses amis de palier, Marzi semble assez silencieuse et solitaire. Sa mère ne semble pas très tendre avec elle - et vice-versa - tandis que son père, qu'elle semble adorer, rapporte chez eux de quoi égayer le quotidien : carpe pour respecter la tradition annuelle, livre d'histoires pour sa fille, diapositives pour enchanter les enfants.

Sa mère, plus dévote (elle ne part pas avant la fin de la messe, elle !) rapporte plutôt des images du pape visitant sa Pologne natale (nous sommes à l'époque de Jean-Paul II) et passe des jours entiers à l'église quand la petite famille part à la campagne.

Car la vie de Marzi alterne entre vie des villes et vie des champs, où les hommes triment dur, parlent peu, boivent beaucoup, tandis que les femmes cuisinent et prient. Les animaux, la neige, les mille et un outils sur l'établi amusent les enfants, mais là encore Marzi est souvent seule au milieu des grands, condamnée à jouer avec son lapin en peluche.

Ces petites tranches de vie sont mises en images par Sylvain SAVOIA, découvert avec le tout autre univers de Nomad, et compagnon de Marzena.

D'un trait simple et souple il brosse portraits et paysages, mettant l'accent sur les grands yeux de l'héroïne et sur les traits exagérés des adultes vus à hauteur d'enfant. Son dessin se fait presque parfois trop simpliste, peut-être mû par cette volonté de tout raconter et montrer du point de vue de la petite Marzi.

L'immuable gaufrier de six cases scande parfaitement les jours monotones de la fillette tandis que la palette plutôt froide nous transis comme les personnages.

La Pologne que nous présente Marzi n'est ni accueillante ni chantante et, malgré les jeux d'enfants, on sent une lourde chape peser sur toutes les épaules.

Seul moment de grâce : la journée à l'école, présentée comme un havre de paix et d'attention portée aux enfants.

Sans être ni très drôles ni très tragiques, les histoires courtes de ce tome 1, Petite carpe, dessinent une histoire finalement très proche des images que je me faisais de ce pays à cette époque.

Le point de vue enfantin n'offre pas de recul et livre des faits en toute subjectivité, ce qui fait leur intérêt autant que leur limite. Le dessin efficace mais finalement un peu fade laisse la même impression, d'ailleurs...

Les souvenirs des jeux d'enfants ou des rapports aux adultes peuvent faire écho à ceux des lecteurs trentenaires mais difficile de savoir si le propos pourrait intéresser les plus jeunes, à qui l'album semble finalement s'adresser.

Chronique d'une enfance douce-amère au pays de la privation et des contraintes (morales, sociales, alimentaires...) Marzi semble renforcer les clichés. De quoi plaindre encore davantage ces générations usées ou rechercher d'autres sons de cloche - s'il y en a.

Je tenterai peut-être d'en lire la suite par curiosité plus que par intérêt profond.

Champimages qui donnent froid.

Marzi T1
Marzi T1
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3 janvier 2016 7 03 /01 /janvier /2016 09:57

Ici

Ici

C'est Ici que tout a commencé - et que tout finira sans doute.

Ici, derrière ces murs, dans ce marécage, sous les flots, dans le bouillon primordial, sous la froide lumière d'un hiver nucléaire.

Ici, dans la permanence d'un lieu malgré le temps qui passe, les âges, les ères, les animaux de tous poils et de tous costumes, les sautes climatiques, stylistiques, paléontologiques, anthropologiques, cosmogoniques, même.

Ici que se joue l'Histoire, de la Pré à l'après, rapide balayage d'une éternité cloisonnée par nos perceptions humaines.

Une simple maison.

Cheminée de pierre, sol et murs de bois - nous sommes bel et bien aux Etats-Unis - grande fenêtre donnant sans aucun doute sur "la rue", et sur "la maison d'en face".

Une vaste pièce que les Français, gastronomes avant tout, baptisent "salle à manger" quand, outre-Manche/Atlantique, on parle de "living-room" (et soudain me vient la chanson de Paris Combo du même nom, dans laquelle une faune bigarrée s'invite dans la plus grande et vivante pièce de la maison...).

Un living-room vivant à travers les âges, peuplé "de cheveux longs, de grands lits et de musique, peuplé de lumière et peuplé de fous" (j'ai le dimanche matin musical, moi !), de grands bisons, de tyrannosaures, d'Amérindiens, de colons, de peintre du dimanche, de jeunes filles en robe à ruban, de repas en famille, de blagues au salon, de deuils, de joies, de danse, de changement de papier peint...

Ici raconte donc en plan fixe la vie d'un lieu, depuis l'origine du monde, ou presque (3 000 500 000 av J-C, ça commence à faire quand même !) jusqu'à l'an 22 175, de quoi déjà bien se projeter.

Le paysage naturel tantôt noyé, tantôt boisé, laisse tardivement - en 1907 seulement ! - place à un chantier de construction. S'ensuit l'installation des occupants successifs, chaque époque amenant son décor - papier peint, peinture, mobilier -, ses tenues, ses modes de vie et ses préoccupations.

Loin toutefois de s'attacher à la chronologie chère à Jens HARDER, Richard McGUIRE s'offre et nous offre un kaléidoscope temporel : 2014 - 1957 - 1942, le rebrousse-temps des premières pages ne dure pas et un chaos apparent s'installe très vite, d'autant plus quand les époques décident de se côtoyer sur les mêmes pages : le chat noir de 1999 s'invite dans le salon de 1957, lequel se retrouve plongé dans la froide forêt de l'hiver 1623...

A chaque case son époque, à chaque espace inter-iconique son ellipse temporelle, tantôt infime tantôt infinie. Les époques ne se suivent pas mais se ressemblent par leurs échos, leurs symétries, leur rythme ou leur couleur : un geste, un mot, un regard revient d'année en année, de siècle en siècle, le peintre impressionniste se confronte à une soirée super-8, le perroquet moqueur à la biche bientôt atteinte par une flèche, la chute de 2014 à celle de 1926 ou 1852.

Quelques constantes demeurent : les carnavals, les photos de famille, les jeux d'enfants. Des élans, des pulsions, des teintes traversent parfois les âges, mais sur une échelle de temps bien courte à l'aune de celle de la Terre.

Le lieu bien plus intemporel que ceux qui le traversent

Si le passé est plus ou moins sûr, l'avenir l'est bien peu - en tout cas pour l'humanité. L'auteur se prête donc parfois à un jeu divinatoire qui détruit, engloutit, rebâtit, irradie puis fait place nette : la forêt primordiale - postordiale ? - fait son retour et nous renvoie à notre rôle de poupées figées dans une maison en carton pâte.

Un regard qui explique peut-être la rigidité des poses et des personnages - qui semblent tous dessinés d'après photos. Choix ou heureux hasard ? Les corps sont souvent aussi raides que l'intérieur domestique est froid - sans doute à cause de l'hyper-netteté informatique - mais la vie jaillit des vibrants décors naturels. C'est Ici, aussi, que se confrontent nature et culture...

Un regard qui semble faire de ce "living-room" la scène sur laquelle la vie joue et se joue, avec ses surprises et ses récurrences, ses bizarreries et ses échos. Ici et/est tout le temps, avec ou sans nous, mémoire des temps passés et à venir.

Ici c'est un peu mon bureau d'où je vous écris, chaque écran, porte, fenêtre, étagère ou livre autour de moi renvoyant à un temps, un souvenir, une image d'avant ou d'après.

Et soudain Ici se fait Maintenant, parfaite incarnation de cet insaisissable instant suspendu entre projeté et réalisé.

Un vortex de mots, d'images, de sensations que seule la bande dessinée pouvait non seulement représenter mais permettre d'approcher.

Ce qui fait de Ici, à l'instar d'Asterios Polyp ou des Sous-sols du Révolu bien plus qu'un simple livre : une expérience.

A vous d'y plonger.

Champimages plus fortes que le temps qui passe.

Ici
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29 décembre 2015 2 29 /12 /décembre /2015 08:23
Nos guerres* - Chronique express

"Ce qui nous faudrait, c'est une bonne guerre."

Bien longue, bien sale, bien violente, parfaite pour relancer une économie moribonde, réguler une population galopante et, tant qu'à faire, fédérer la Nation face à un bouc émissaire si possible hors-frontières (sinon ça devient une guerre civile et ça il n'y a rien de pire en terme d'image internationale).

Grand-père avait combattu les Prussiens ?

Qu'à cela ne tienne : son petit-fils fera de même.

Bon, entre temps la Prusse a changé de nom mais n'en demeure pas moins l'ennemi héréditaire ( ah, la force de la tradition !) et, preuve qu'elle est restée la même, elle pourvoit toujours ses petits soldats en casques à pointe.

Peut-on résumer la guerre en 10 chapitres - alors qu'un mot suffit, à choisir entre "connerie", "barbarie", "horreur", "massacres" ou "c'est encore les petits qui trinquent pour les grands", mais je sais que ça fait plus d'un mot... - ? (oui, ma ponctuation est heurtée, et alors ? C'est la faute à la guerre).

10 angles de vue pour en appréhender plusieurs facettes, au front comme aux champs, au fond (de galeries de sape) comme au bordel, à l'hôpital de campagne comme au sanatorium. Autant de rouleaux compresseurs à illusions où seul le rire gras (et forcé, mais on fait comme on peut en temps de guerre...) provoqué par les histoires de fesses et de fèces (quintessence du comique ctroupier) résonne entre obus et barbelés.

"Rien de ce que j'ai vécu ces vingt dernières années ne m'avait préparée à cela."

Entre pochade et poésie, amertume et noirs souvenirs, le récit de David BENITO saccade des vies coupées en tranches par le Grand Conflit, Premier du nom, mondial et abominable.

Personne pour rattraper personne.

Trous d'obus et gueules cassées, petites gloires et souvenirs balayés, horreur partout et justice nulle part.

La guerre, quoi.

Au dessin, Laurent BOURLAUD pioche dans la riche et chaotique iconographie de l'époque : Pablo PICASSO par-ci, Fernand LEGER par là, BD de l'époque (petites vignettes carrées surplombant les textes) et motifs Art Déco en devenir.

A chaque histoire son style, tantôt net tantôt charbonneux, bien plus libre que les personnages qu'il dessine. Le CUBISME n'est jamais loin, parfaite illustration d'une déconstruction en perpétuelle exécution.

Et si bien des crânes et des visages vous évoquent Georg GROSZ c'est parce qu'il a su mieux que quiconque donner corps à l'horreur absurde et cynique.

Parfaitement écrit et illustré, Nos guerres n'a rien d'un conte de Noël ou d'une primesautière sauterie (youpla boum). Juste un devoir de mémoire salutaire où le fond et la forme conjuguent l'art et l'horreur au service de l'Histoire.

On a fait pire.

Champimages de guerres

Nos guerres* - Chronique express
Nos guerres* - Chronique express
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24 décembre 2015 4 24 /12 /décembre /2015 16:59
Zaï Zaï Zaï Zaï*

Aucun doute là-dessus : il l'a vue, derrière un laurier. Elle gardait ses blanches brebis. Il lui a demandé d'où venait sa peau fraîche, et là tout a basculé : elle lui a dit d'aller siffler là-haut sur la colline, ce qui, tout le monde le sait pertinemment, ne rend pas la peau "fraîche" mais la peau "sèche".

Après, tout s'enchaîne : sa peau lui tire, il va à la pharmacie, laquelle n'a pas de crème car c'est la crise ma bonne dame mais allez voir au supermarché d'à côté vous allez voir comme ils sont gentils et bien achalandés et comme ça au moins vous ne m'encombrerez plus le paysage avec votre peau qui se lézarde tellement qu'elle en fait fuir les clients.

Ni une, ni deux, il court au Super Truc du coin, avec la hâte d'en finir qu'on imagine bien, et là, c'est le drame : il n'a pas son pantalon habituel.

Il le sait bien, pourtant, qu'on ne change pas ses habitudes comme ça, qu'on ne saute pas sans réfléchir dans un pantalon fraîchement sorti de l'armoire sans contrôler poches et doublures de celui que l'on délaisse soudain derrière soi.

Mais non, môssieur n'en fait qu'à sa tête, change de pantalon comme d'autres de chemise (quelle idée !) et le voilà fort dépourvu quand la bise fut venue au moment de passer à la caisse.

"Vous avez la carte du magasin ?"

Bien sûr qu'il l'a la carte du magasin ! Et qu'il va la brandir pour pouvoir sortir et enfin se passer cette pu... fichue crème afin d'en finir avec cette peau SECHE que si l'autre tanche qui garde ses brebis là-haut dans la montagne youkaïdiyoukaïda elle a pas débarrassé le plancher quand il sera de retour pour avoir une explication ben je peux vous dire mon bonmonsieur que ça va lui faire drôle.

Mais voilà. Pétri de telles certitudes sauvages et vengeresses, on finit non seulement par se faire rattraper par le destin mais, en plus, par se manger une bonne correction.

"Je crois qu'elle est restée dans mon autre pantalon..."

Ah tu peux fanfaronner, maintenant, tu peux t'en prendre à la bergère qui, si ça se trouve, a fait exprès de t'envoyer siffler là-haut sur la colline car elle a bien vu que le dessin sommaire et en léger relief qui bombait ta poche arrière n'était PAS celui de la carte du magasin mais celui, sans aucune forme d'importance, d'une carte de visite, à jouer, du monde ou de bus, qu'importe, mais pas la CARTE DU MAGASIN, donc après tu peux te la ramener tant que tu veux et maudire tous les chanteurs français (enfin, francophones) possibles, tu n'as à t'en prendre qu'A TOI-MEME !

Quoi ? Qu'entends-je ?!? Tout cela n'aurait en fait été qu'un prétexte pour enclencher une course poursuite, un road movie, de quoi alimenter un moteur à inspiration qui donnait des signes de fatigue ?

Mais mon bon monsieur FABCARO, faut assumer la surproduction et la vie de rock star ! Alors comme ça on fait croire qu'on a besoin d'une excuse narrative pour déclencher une nouvelle aventure séquentielle ?

Je me MARRE !

Quand on n'a pas de tête - pour vérifier qu'on a bien sa carte du magasin dans sa poche de son pantalon - on a de bonnes jambes, comme le dit l'adage, et ce ne sont pas les vieux de la page... ben de la page sans numéro parce qu'en plus môssieur est pas foutu de paginer ses bouquins ! donc ce ne sont pas les vieux de la page trucmuche qui diront le contraire.

Donc pas de tête = cours, Marcel, cours, et surtout ne t'arrête pas ! Parce que le vieux monde est derrière toi, et parce que tu passes à la télé, et la télé elle dit que tu es le mal, alors faut pas t'aider pas te parler pas te regarder même à part pour être bien sûr que c'est bien toi avant de te dénoncer aux forces de l'ordre que quand même quand on voit la délinquance qui galope comme ce fugitif on se dit qu'on était mieux avant quand même.

Alors oui, tu vas de village en village, tel le Heidi des temps modernes, tu rencontres des fantômes du passé qui te renvoient à la vacuité de ton existence et à une certaine forme d'inutilité qui semble te caractériser, mais peu te CHAUT ! Tu persistes alors que tu dois te rendre à la raisons, aux forces de l'ordre et au karaoké le plus proche !

Oui, au karaoké, car on a les peines qu'on mérite, et pour avoir contraint tes lecteurs à fredonner du Joe DASSIN bien malgré eux - bon, moi ça m'a pas trop dérangé, vu qu j'adore, mais quand même, pense aux autres, à ceux qui n'ont pas de goût musical - durant toute la lecture de ton Zaï Zaï Zaï Zaï, ainsi qu'à chaque fois qu'ils ont dû en causer, ben ça va en faire des chansons ringardes à brailler en public au micro pour te faire pardonner !

Comment donc ? Ton album est drôle et décalé ?

Mais bien évidemment !

C'est une critique acerbe de la société de consommation et du spectacle qui en détourne les codes avec un sérieux apparent pour mieux les démonter ?

Pour sûr !

D'ailleurs, la critique unanime et les prix qui pleuvent sont bien la preuve non pas de ton talent mais de la place bien calibrée que tu as réussi à prendre dans ce SYSTEME que tu prétends dénoncer.

Y a pas dire, bien joué !

Un vrai Joe DASSIN des planches à dessin - tu mériterais qu'on te rebaptise Joe DESSIN, tiens ! - qui, derrière des chansons prétendument subversives (Tagada voilà les Dalton, Il faut naître à Monaco...) peaufinait des blockbusters musicaux à faire pleurer CALOGERO (sic).

Trêve de style et d'ampoules aux phrases : la fuite éperdue du personnage-auteur (persoteur ?) alimente un récit brillant ayant réussi l'amalgame de l'autorité et du charme (ah ah), patchwork de gags en une page à l'absurdité décapante (si, si !) réunis autour d'un fil rouge qui rit jaune.

FABCARO s'était déjà posé en auteur humoristique de talent, le voilà maintenant adoubé pamphlétaire sans en avoir l'air.

Si tout ça ne finissait pas en chanson, on en redemanderait presque !

A une ou deux roulades arrière près.

(Vous l'aurez compris, lisez la BD, cette critique ne vous aidera absolument pas à vous faire un avis clair à son sujet !!)

Champimages qui roulent et amassent des rires.

Zaï Zaï Zaï Zaï*
Zaï Zaï Zaï Zaï*
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11 octobre 2015 7 11 /10 /octobre /2015 10:01
Adulteland

"Ne blâme pas le monde, ô ermite. La société est laide et déprimante, mais elle te laisse une place. Je salue ton retour."

Bien laide et bien déprimante semble en effet la société, la réalité même que dépeint Oh YEONG JIN dans son méconnu Adulteland : peu de pitié pour ces Coréens entre deux âges qui font le point sur des vies déprimantes, des alternatives douloureuses et/ou douteuses et des murs de béton partout autour d'eux.

Ne leur reste que l'ivresse à répétition ou quelques heures volées au bord de la mer pour tenter d'oublier ou de se sentir libre.

A qui parler, se confier ou demander de l'aide quand tout s'effondre, que l'on n'a plus rien, que les repères volent en éclat...

"Ces cinq dernières années ont été bien sombres. Quand j'étais désespéré, je n'avais personne à qui parler... Je dois vraiment être au bout du rouleau pour me confier à un robot !"

Telle est en effet la vocation, la vertu même d'Adulteland, étrange et attirant parc d'attraction implanté dans un petit port loin très loin de Séoul.

"Avec qui parlez-vous quand vous vous sentez seul ?"

A ceux qui n'auraient pas de réponse à apporter à cette question, Adulteland vous propose la compagnie de robots dernier cri parfaitement adaptés pour vous faire la conversation.

Cultivés, attentifs, réactifs, sensibles, presque intelligents et humains, ces êtres artificiels vous font rapidement oublier ce qu'ils sont pour simplement vous faire vous demander "qui" ils sont.

Dans un monde pressé à l'extrême - "hurry up, hurry up" - où l'épuisement et l'isolement semblent les seuls horizons, ces compagnons inattendus vous offrent l'humanité qui semble avoir déserté votre quotidien.

Pourtant, Yongbae a une femme et des amis à qui confier ses craintes, son épuisement, son vague à l'âme, ses incertitudes face à l'avenir.

Mais ce n'est pas si facile d'avouer ses peurs et ses faiblesses à ceux qui nous connaissent et nous côtoient.

Alors que face à un étranger - a fortiori robotisé - que craindre ? Surtout lorsque ce dernier semble faire preuve non seulement de compréhension mais aussi d'empathie, d'un peu d'humour, et surtout de philosophie...

Cruelle société que celle décrite par Oh YEONG JIN.

Une société qui fait pourtant écho à celle qui nous est donnée à voir chaque jour.

"Désolé, je n'ai pas pu te venir en aide quand tu en avais besoin.

_ J'aurais fait pareil à ta place. Comment réagir face à un clodo qui sent la pisse et qui vient te demander de l'argent ?"

Chacun pour soi, c'est déjà assez compliqué comme ça.

Et si une simple discussion avec une machine - aussi brillante soit-elle - ne vous suffit pas, si vous avez besoin de concret, d'action, d'investissement pour repartir du bon pied et reprendre place dans cette société qui vous a mis au rebut avant de vous jeter, n'ayez crainte : des solutions existent pour vous aider à entamer dans une vie nouvelle.

Vendre un organe, par exemple.

Et en plus il pleut...

Implacable analyste de son monde et de ses contemporains, l'auteur coréen aborde des sujets très sensibles et pose les questions qui fâchent.

Sans concession scénaristique ni graphique, il malmène le lecteur par son trait aussi : vacillant, déformé, il étire ou compresse les canons du dessin et campe des hommes aux visages caoutchouteux et des femmes aux mentons-promontoires.

Eludant bien souvent les décors, détourant d'un noir profond les silhouettes, Oh YEONG JIN ne nous laisse aucune échappatoire dans nos face-à-face avec des êtres difformes, broyés, mais pourtant attachants et familiers.

Le monde est moche, les humains qui le peuplent aussi, mais tout cela nous semble finalement bien naturel.

Et l'espoir dans tout ça ? Lointain, maigre, disparu peut-être.

Quel avenir pour Gangmo, son rein en moins et son bar en plus ?

Pour Seo dont la défunte femme revient pour le mettre face à ses choix ?

Pour Yogi, le plus performant des robots, le plus clairvoyant des personnages ?

"Les humains sont vraiment bizarres. On dirait qu'à l'abri des regards ils creusent leur propre tombe en dégringolant toujours de plus en plus bas."

Adulteland.

Plus qu'un simple parc d'attraction : un miroir qui nous renvoie l'image à peine déformée du monde tel que nous l'avons rendu et qui nous le rend bien.

Doublé d'une réflexion sur l'humanité et l'intelligence artificielle.

Mais si tout cela n'était qu'un livre.

Au fond et à la forme dérangeants, mais juste un livre.

Juste.

Champimages sans concession.

Adulteland
Adulteland
Adulteland
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