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"Là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté". Telle semble en tout cas être la vie dans ce quartier où habitent l'homme en cravate et la femme au foyer.
Ruelles, ponts, escaliers, berges, trottoirs, cafés, bancs, parcs, arbres... offrent autant de haltes et de points de vue sur les toits, flots ou frondaisons qui composent le paysage impressionniste de l'environnement semi-urbain que Jiro TANIGUCHI nous donne à voir.
Gestes, regards et sons accompagnent - et appuient - cette marche d'un homme qui, candide des temps actuels (une actualité déjà vieille de 20 ans, il est vrai), découvre ou redécouvre son environnement théoriquement familier.
Un enchevêtrement de ruelles, commerces et petits pavillons qui dessinent un univers paisible et apparemment aisé où circulent écolières, mères de famille, grands-mères et chats errants.
La faune locale ne se limite pas aux félins, d'ailleurs : chiens, poissons et surtout oiseaux - ô métaphores de la liberté ! - peuplent les recoins de cet espace qu'on imagine presque hors du temps.
La flore n'est pas en reste, entre chêne "miyazakien" et cerisier - sakura dans la langue de KITANO, non mais, j'en sais des mots ! - forcément en fleurs, même en noir et blanc.
En 17 histoires courtes et avec un titre qui fleure bon la sculpture de GIACOMETTI, Jiro TANIGUCHI plonge avec le talent qu'on lui connaît dans ces petits riens du quotidien qui lui donnent du charme et une certaine forme d'exotisme.
Prenant le temps de regarder, s'arrêter, sentir et faire vibrer ses sens - par la caresse du vent ou de l'eau, par la morsure d'une ronce, par le déséquilibre d'un sol instable - son héros semble soudain s'ouvrir au monde et l'admirer, le découvrant comme il ne l'avais jamais vu.
Quelque part entre un recueil de nouvelles d'Anna GAVALDA et les 101 expériences de philosophie quotidienne de Roger POL-DROIT, l'auteur et son personnage semblent nous inviter à les suivre dans les méandres du banal, du familier, pour le réenchanter en somme. En renouant avec son âme d'enfant (pour marcher sous la pluie ou en équilibre sur un muret) ou de "délinquant" (en faisant le mur de la piscine municipale pour faire trempette au clair de lune).
Parfaits éléments pour inscrire cette lecture au programme de notre mois de la spiritualité sur k.bd.
Derrière la facilité ou la répétitivité de certaines scènes (peut-être ne faudrait-il lire L'homme qui marche que de manière homéopathique ?) et l'ambiance plutôt paisible qui s'en dégage, il semblerait toutefois qu'une certaine lecture en creux soit possible et dessine des pistes d'approche presque sociologiques...
Avant tout, qui est cet homme ? Seul représentant, ou presque, du sexe masculin, ses balades ne lui font croiser que des femmes de tous âges ou des hommes plus âgés. Sa tenue - costume, cravate, fines lunettes - le classe en apparence dans la catégorie des employés ou des cadres. Donc où trouve-t-il le temps de flâner ? Est-il en vacances ? Ou plus probablement fraîchement licencié ?
Si c'était le cas, le voilà encore engoncé dans son costume et ses habitudes mais, sous le coup des redécouvertes qu'il fait et des expériences qu'il vit, il s'en départit peu à peu et redevient progressivement plus humain.
Un humain attentif à son environnement, à son prochain, et qui prend enfin le temps de vivre.
A moins que notre homme ne soit un artiste, épris de culture (française, bien sûr ! On est chez TANIGUCHI !), un architecte peut-être (au vu de ses lectures), qui s'imprègne chaque jour du monde qui l'entoure pour y puiser son inspiration.
Ceci étant, artiste ou pas, notre homme se promène pendant que sa femme-enfant fait la cuisine, sans doute le ménage, et l'attend au foyer, ne sortant qu'en sa compagnie.
Son rapport à la femme est d'ailleurs assez étrange, presque dérangeant quand on surprend ses regards en coin destinés au lycéennes assises ou de passage qu'il croise sur son chemin. Paternalisme bienveillant ou lubricité sourde ? Difficile d'y voir clair derrière les verres de ses lunettes.
Graphiquement, rien que de très classique : un trait majoritairement net, parfois vaporeux pour évoquer un ciel photographique ou un flou de myopie, et un noir et blanc tramé qui, les rares fois où le lavis le rehausse, prend une belle dimension plastique qui nous ferait presque regretter que l'ensemble de l'album n'ait pu bénéficier de ce traitement.
Découvert il y a 20 ans, L'homme qui marche m'avait laissé un souvenir doux et suspendu. Sans doute aigri plus qu'apaisé par le temps qui passe, je n'y ai pas retrouvé dans ma lecture d'aujourd'hui ces impressions paisibles.
Peut-être me manque-t-il un thé et un peu de temps pour, patiemment, marcher au côté de ce voyageur du quotidien, de cet explorateur de la proximité, de ce redécouvreur d'un monde admirable et agréable - si tant est qu'il le soit vraiment.
Champimages douces amères.