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"Il était une fois, dans un pays lointain, un prince d'une grande beauté.
[...]
On m'a dit que tu avais encore ramené une fille bizarre au château !! C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase ! [...] Je veux que tu cesses de ramener ces filles de mauvais genre sous prétexte que c'est ta passion du moment !! Espèce de pervers !
_ Toujours la même rengaine... [...] A notre époque, les femmes sont de plus en plus exigeantes. Les filles que j'emmène ici, au moins, sont dociles, modestes et calmes... Bref, ce sont des femmes idéales, de mon point de vue. Vous jugez trop sur l'apparence, mon père !"
Et l'apparence, Ludwig (ou Louis, parfois, dans le feu de l'action) en connaît quelque chose, lui qui aime faire flotter ses longs cheveux soyeux, plonger son regard dans les décolletés des demoiselles qu'il rencontre et qui porte à merveille des vêtements... panthère. Le bon goût n'a pas de frontière !
"Tu vas partir en voyage initiatique. Tel que tu es, tu n'es pas prêt pour hériter du trône. Tu vas te rendre au pays voisin en tant qu'ambassadeur pacifique... Et tu vas demander en mariage la fille unique du roi, Blanche !"
Le nom de Ludwig ne vous disait peut-être rien en matière de contes de fée - ceci étant, combien de princes anonymes pour tant de princesses célèbres ? - mais celui de Blanche est peut-être un peu plus évocateur, non ?
"Tu devras conquérir ta princesse avec ton seul atout : ton beau visage ! [...]
_ Père... permettez-moi tout de même de défendre mon honneur... Mon visage n'est pas mon seul atout. Attendez un peu qu'elle me voie à poil."
Le ton est donné !
En attendant de le voir changé en grenouille, Ludwig, que l'on imagine pourtant aussi glabre que son père est barbu - comme tous les rois dans l'univers des contes de fée, d'ailleurs ! - entend donc bien jouer de son physique pour trouver et épouser la femme de ses rêves : "Pourquoi vous m'avez pas dit plus tôt que c'était une bombe à gros seins ?"
Ah, la mystérieuse alchimie des sentiments !
La quête du bonheur et de l'amour de notre beau prince ne sera toutefois pas simple promenade de santé : de Blanche Neige à Barbe Bleue en passant par le Petit Chaperon Rouge ou la Princesse Ronce (pour le tome 1), la route est semée d'embûches (et d'épines...) et de rencontres hostiles (vous saurez tout de l'origine du rouge du célèbre Chaperon !), de coeurs brisés, d'esprits retors et de magie noire (car qui dit "princesse" dit souvent "sorcière", non ?).
Autant d'épreuves que le prince - bien plus clairvoyant qu'on pourrait le croire - surmonte avec une certaine désinvolture et l'aide de son brave Wilhelm, son valet "gentil mais un peu naïf", souffre-douleur à la peau dure et au grand coeur, ami d'enfance et dépositaire de certains lourds secrets...
Avec beaucoup d'humour, Kaori YUKI nous livre, avec Ludwig révolution, une relecture des plus originales de nos contes traditionnels. Elle adopte pour se faire un point de vue original : "Pourquoi les princes des contes de fée sont toujours si inconsistants ? [...] Les princes sont un peu effacés derrière les héroïnes et [...] souvent, ils ne servent qu'à faire joli."
Voilà donc tous les princes réunis en un - même si l'on en croise quelques autres au fil des récits -, un bellâtre insupportable qui mériterait des baffes - voire une balle dans la tête, mais chut ! - s'il ne retombait pas toujours sur ses pattes, ramenant la vérité - si, si ! - sur le devant de la scène. En effet, en être parfaitement pragmatique, Ludwig ne se laisse abuser par aucune illusion et a pleinement conscience que la magie n'existe pas ! Là où les autres croient en une transformation, il crie au cosplay et le moindre sort n'est souvent que le fruit d'une forte suggestion...
Un comble que ce narcisse aux traits doux soit le premier à ne pas se fier aux apparences !
Parlons-en, du trait, justement : conventionnel à souhait, entre le shôjo (grands yeux des filles, mentons pointus des garçons) et le josei (corps élancés, hommes androgynes - sauf les rois barbus !), il ne se prend pourtant pas au sérieux ! (comme souvent dans le genre aussi, convenons-en) : caricature, apartés, exagérations et anachronismes ôtent aux récits toute mièvrerie par des contre-pieds permanents. Tous les personnages ont des travers ridicules (ah, la sorcière masochiste !) qui, combinés à l'attachement que leur porte leur auteur, en font des êtres intéressants.
Le format court des histoires permet de ne pas se lasser, mais la présence de certains personnages récurrents fait évoluer une trame de fond qui évite des répétitions trop monotones.
Contrairement à ce que me laissaient redouter les couvertures, Ludwig révolution est donc plutôt une bonne surprise, à la fois parce qu'elle offre un regard extérieur sur certains contes traditionnels de la culture populaire d'Europe occidentale (ça nous change du point de vue disneyens !) et parce qu'elle se moque des travers mièvres que ces histoires ont souvent développés entre les mains des lecteurs de tous pays, le Japon et son romantisme exacerbé n'y coupant sans doute pas.
Grâce à sa maîtrise graphique, ses riches références - y compris aux manga et à la culture pop japonaise - et son second degré - "Et oui, en réalité ce n'est pas le prince Ludwig qui aime les gros seins, c'est moi qui fait une fixation dessus..." - Kaori YUKI nous livre un divertissement parfois un peu brouillon mais qui fait sourire et qui, si mon décryptage est bon, met à l'honneur le personnage le plus "conte-de-féeien" de l'histoire d'Europe : Louis II de Bavière, entre autres connu comme le cousin de... Sissi l'impératrice.
Quand la réalité rejoint la fiction...
Champimages gentiment irrévérencieuses.
[La postface du tome 2 nous apprend que le prénom Ludwig n'a rien à voir avec le roi fou de Bavière mais avec le plus jeune des frères GRIMM, qui illustra les contes de ses aînés quelques années après leur parution. CQFD]