On peut lui reprocher ses travers, ses récurrences, ses pavés, ses obsessions, mais il serait je crois difficile de ne pas trouver dans la dense bibliographie de John IRVING au moins un livre qui nous aura touché.
Je n'avais pas parlé ici du Monde selon Garp, de l'Epopée du buveur d'eau ou de la Veuve de papier, qui furent tous, à un moment ou un autre, des compagnons de voyage...
Il en a été de même pour L'Oeuvre de Dieu, la part du Diable.
Je n'en dirai rien, n'en dévoilerai aucune ligne.
Simplement lisez-le.
Il y a de fortes chances qu'un passage parle un peu de vous.
Parce qu'un roman d'IRVING, c'est toujours un concentré d'humanité, avec ses bons et ses mauvais côtés, ses failles, ses sourires, ses douleurs.
Avec toujours, en plus, un amour profond pour la littérature. Histoire d'alimenter encore et encore notre envie de
lire...
Comment résister à un tel titre ? Surtout quand on sait qu'il s'agit d'une des nouvelles perles pondues par le Wombat (oui, la nature est pleine de surprises, n'en déplaise au rongeur bibliophile !) et que l'illustration de couverture a été confiée à Jean-Christophe MENU, monsieur L'Association (jusqu'à il y a peu, en tout cas), entre autres.
Sur les bons conseils (une fois n'est pas coutume) de Yves FREMION himself, je me suis donc plongé dans ce concentré d'aburdité dont seuls les anglo-saxons (et peut-être même spécifiquement les étasuniens) ont le secret. Jack DOUGLAS fait d'ailleurs partie de ceux qui ont inspiré Woody ALLEN à ses débuts, et même ensuite. Tout est logique.
Des nouvelles courtes, parfois même très très courtes (une seule ligne, si si !), aux titres toujours évocateurs : "Tout ce que vous pouvez avaler pour deux cents dollars ou Vendez votre soeur et sortez dîner ce soir", "Débarrassez-vous de l'habitude d'être heureux : devenez écrivain !", "L'abominable homme des neiges, ou Maman a les plus grands pieds de la ville - qu'est-ce qu'elle s'est éclatée cet hiver au Tibet !"
Ces innombrables et hilarantes nouvelles (qui prennent d'ailleurs parfois l'allure de journaux intimes, de lettres aux parents, de pièces de théâtre ou de menu de restaurant) étaient nichées dans deux recueils ici réunis : Mon frère était fils unique, et Ne vous fiez pas à un chauffeur de bus nu, donc.
Morceaux (de chauffeur, bien sûr !) choisis :
"La vodka est la boisson la plus forte du monde. Quand vous entendez quelqu'un commander trois doigts de vodka, vous vous rendez compte sur-le-champ qu'il a dû en renverser sur les deux autres."
"L'Inde est plus connue sous le nom de Continent noir - enfin, si on fait abstraction de l'Afrique."
"Jetant un coup d'oeil par ma fenêtre, en cette glorieuse matinée d'automne, je sus immédiatement que c'était l'automne car tous les enfants de choeur de la ville perdaient leurs feuilles."
"Jeudi.
Cher Journal,
J'ai attendu devant le Stork Club toute la journée aujourd'hui, mais je n'ai pas vu Mildred en sortir. Elle n'en est pas sortie hier non plus. Ni le jour d'avant. Sais-tu, cher Journal - ça fait longtemps que je n'ai pas vu Mildred sortir du Stork Club. Presque six ans."
A siroter à petites gorgées, entre deux lectures plus sérieuses, histoire de détendre vos neurones tout en leur évitant la fracture.
Champi halluciné.
Je vous avais fait profiter d'un extrait de Vaches Noires il y a déjà quelques temps : une nouvelle très courte et très percutante comme TOPOR savait en écrire.
Vaches noires en est plein, de ces textes brefs et forts (à vos souhaits) qui s'aventurent sur les terrains de l'étrange, du grinçant, du morbide. Trente-trois textes en tout, écrits par TOPOR peu de temps avant sa mort, qui ont, comme la plupart de ses dessins, l'art de provoquer de violentes images mentales se tapissent dans un coin sombre de notre mémoire.
Deux ou trois pages suffisent, la plupart du temps, à brosser les cadres désespérément quotidiens de ses histoires : un train, un tunnel, une famille, une cuisine, un téléphone.
Avec TOPOR, c'est toujours le plus proche, le plus anodin, le plus habituel qui bascule, et qui oscille entre l'humour (souvent) et l'horreur (parfois en mots, souvent en images). La vie n'est alors qu'un grand spectacle et un éclat de rire suffisamment tranchant pour blesser à gorge déployée.
TOPOR aime écorner les faux artistes, les vrais menteurs, les beaux parleurs, les hypocrites, et tous ceux qui se prennent trop au sérieux.
Le théâtre s'habille de fantômes, les prix littéraires incitent à l'inertie, l'enfance est le terrain de jeu de l'horreur, et nos contemporains nous regardent toujours avec méchanceté ou envie.
Lucide jusqu'à l'ivresse, TOPOR masquait parfois ses plumes et ses crayons dans de lourds sabots, mais dégainait le mot juste à tout bout de page : "Seuls les faux-monnayeurs méritent d'être réhabilités : ils n'ont jamais fabriqué une monnaie plus fausse que l'originale."
Enfin (surtout ?) c'est dans son rapport à la chair que TOPOR était le plus fort, le plus radical, et sans doute le plus dérangeant : qu'il la fusionne ou la mutile, il ne la laisse jamais tranquille, en images ou en mots. Les nouvelles de Vaches Noires n'y coupent pas - elles -, notamment Le goût salé de la vie, qui clôt presque l'ouvrage. Rideau moqueur et désabusé tiré sur le pire de nous.
TOPOR devrait être mis entre les mains de tous ceux qui ont un sourire un peu trop béat, histoire de. Il en tomberait, forcément, mais ça lui permettrait de voir sous davantage de jupes. On se console comme on peu.
Résolument, TOPOR n'est pas mort. La preuve : il mord encore.
Champittéraire.
"A dire vrai, monsieur, dit-il, ma spécialité consiste plutôt à étudier les violations des lois humaines que celles des lois de la physique. Et, heureusement pour mon métier, les lois humaines ne sont que trop souvent violées, à la différence de celles de la physique."
Génie bien connu des amateurs de littérature policière ou de salles obscures et musclées, Sherlock Holmes a toujours mis en avant la déduction et la raison face aux mystères mêmes les insondables.
Observation, psychologie et science encyclopédique ont toujours été à son service. Il était donc logique que, en homme de son temps, il s'intéresse aux progrès scientifiques.
Watson, homme de science avant tout, ne pouvait être en reste ; le compagnon et biographe emboite donc le pas à son mentor et ami sur la piste de nouveaux mystères, dont la résolution passe par une compréhension nouvelles des lois de la physique.
Douze affaires au total vont pousser Holmes dans certains de ses retranchements déductifs et la science de l'époque - souvenez-vous, nous ne sommes alors qu'à la fin du XIX°s - dans ses retranchements théoriques : que sont les ondes ? Les particules ? Et la lumière alors ? Et dans quelle mesure l'observateur n'influerait-il pas sur les phénomènes qu'il observe ?
Tout avait commencé presque compréhensiblement (des sphères, des planètes, COPERNIC et FOUCAULT en guest stars connues du commun des mortels) et voilà que la radioactivité, la relativité et la physique quantique finissent par s'inviter, après un petit détour du côté de l'exotique théorie du phlogistique.
Au final la lecture reste agréable, mais explications et démonstrations ne sont pas toujours très simples, et nous n'avons pas forcément sous la main la feuille et le crayon qui nous permettraient de noter certaines données et refaire certaines opérations pour mieux les comprendre.
Bien sûr, les savants qui oeuvrent au côté d'Holmes et de Watson - en l'occurence les professeurs Summerlee et Challenger - ne sont pas avares en répétitions et en schémas explicatifs, mais il est parfois difficile de les suivre. Logique, car ce sont de brillants esprits, plus portés sur leurs disciplines que sur la vulgarisation.
Colin BRUCE, qui s'en est attribué la lourde tâche, s'en acquitte honorablement, même s'il sollicite notre attention et notre matière grise deux fois plus que la plupart des autres romanciers du genre. Ce dont on peut difficilement lui en vouloir.
Toute ressemblance entre L'Etrange affaire du chat de Madame Hudson et celle d'un autre célèbre chat du monde de la physique n'est bien sûr par fortuite, et la théorie des mondes parallèles qui ne manque pas de s'inviter explique peut-être également l'éternelle jeunesse et l'éternelle actualité du célèbre détective, qui a su traverser les âges et les modes sans prendre une ride - au contraire, même.
Champittéraire
Je crois bien que j'aime les rongeurs. Les rongeurs littéraires. Oh, pas les rats de bibliothèque ou les petites souris qui grignotent les bas de page.
Non.
J'aime les plus gros modèles.
Ca a commencé avec le castor. Belle bête, belles dents, et un goût prononcé pour les contraintes. Oui, c'est le penchant du Castor Astral pour nos amis OuLiPiens, notamment Hervé LeTellier, qui a révélé le mien. De penchant.
Et pas plus tard qu'il y a moins d'un an, une autre bête à poils et à dents s'est invitée dans cette dense zoolittérature : le Wombat. Tout rond, tout poilu, tout doux, tout bizarre comme seules les antipodes savent le faire. Avec un penchant pour "Les Insensés" - j'y reviendrai bientôt - ou plus récemment pour "Tanuki" (merci aux nipponophones de me faire parvenir une petite traduction de ces claquantes syllabes !).
Le Wombat s'est donc mis en quête, d'une île à l'autre, de petites perles japonaises. Sa route a croisé celle de l'inclassable Takeshi KITANO, que l'on connaît par chez nous surtout pour ses films violents (Violent Cop), poétiques (Hana-Bi) ou étranges (L'été de Kikujiro), déjà moins pour ses shows télévisés déjantés, et encore moins pour ses peintures et autres oeuvres d'art pourtant exposées en France en 2010.
Rongeur et ancien yakuza (dit la rumeur) se sont donc retrouvés face à face sur les chemins de l'écriture. En trois lettres et trois récits, ils nous livrent Boy, trois nouvelles écrites en 1987 qui mettent en scène la jeunesse japonaise.
Tête Creuse.
Nid d'étoiles.
Okamé-san.
Les enfants face aux adultes, parfois.
Les enfants face aux enfants, surtout. (Tiens, il y a du Punpun dans l'air, non ?)
La compétition, la comparaison.
Le rêve, la fuite, malgré tout.
La vie brisée.
Comme trois étapes d'un long chemin de croix qui s'appellerait "devenir grand" et qui ne finirait jamais vraiment, sur l'archipel de tous les extrêmes.
Surtout pour les garçons, apparemment. Même si Okamé-san peut nous convaincre du contraire.
KITANO a déjà montré, à travers certains de ses films, combien il était attaché au monde de l'enfance, et combien ce monde était malmené.
A travers une compétition d'athlétisme, une course au téléscope, et des recherches historiques, il met ici en scène les difficile relations entre enfants (écoliers, frères, garçons et filles de passage) dans une société qui les pousse à l'isolement, l'affrontement, la déchirure.
Mais le regard encore jeune ne s'y attarde pas et déforme le présent et les souvenirs en une masse d'émotions où les plus douloureuses comme les plus heureuses s'enchevêtrent en teintes changeantes.
Dans un style simple, direct, efficace, KITANO campe des héros du quotidien dont la plus lourde tâche est de composer avec la vie, les rencontres, les échecs. Et de faire face au moule qui les attend, prêt à raboter leurs rêves : vieillir.
"C'est ça, les adultes."
Illusions ou souvenirs, ces trois récits d'enfance ont l'amertume des madeleines qu'on a laissé rancir.
C'est peut-être pour cela que l'auteur a décidé de rester, malgré les ans, une sorte de grand enfant. Tantôt rêveur, tantôt violent, mais toujours l'oeil
triste.
Champitano.
Cela faisait un moment que je n'avais plus parlé roman.
Mieux vaut tard que jamais, et avec humour, poésie et exotisme, s'il vous plaît !
"On n'est pas vraiment indien tant qu'à un moment de sa vie on n'a pas regretté de l'être".
Elle a de quoi être triste et amère la vie des Amérindiens dans les réserves, de nos jours : chômage, alcool, méfiance facile, privations...
Voilà en tout cas le portrait que Sherman ALEXIE en brosse, donnant une très bonne raison à ses personnages d'être victimes de l'Indian Blues.
Tout semblait pourtant avoir bien commencé pour Thomas Build-the-Fire, Victor Joseph et Junior Polatkin quand le grand Robert Johnson lui-même arriva dans leur réserve des Spokanes et y laissa sa guitare maudite - ou enchantée, selon le point de vue - sur la route pour la cabane de Big Mama.
L'instrument eut vite fait de se trouver un nouveau propriétaire, de le rendre doué comme un dieu - ou presque - et de fédérer autour de lui un auteur-compositeur-interprète (Thomas, le conteur de la réserve, jamais en reste d'une bonne histoire, et toujours connecté au monde intemporel des esprits) et un batteur (Junior l'introverti).
Il n'en fallait pas plus pour former les Coyote Springs, premier groupe contemporains de natifs américains. Le succès leur souriait, des concerts et des concours se présentaient dans d'autres réserves, d'autres villes... Mais peut-s'absenter temporairement de chez soi sans conséquences ? Peut-on profiter du mystérieux pouvoir d'un instrument de musique sans contreparties ? Et la sagesse de Big Mama et des anciens sera-t-elle suffisante pour aider des Indiens cruellement marqués par l'Histoire et leurs histoires familiales ?
Avec tendresse, humour, et triste lucidité, Sherman ALEXIE raconte donc ce périple musical et civilisationnel (oups) au cours de chapitres rythmés par les paroles des chansons des Coyote Springs : la chanson d'amour du petit Indien, Père sans repère, Un petit monde... Autant d'odes au blues indien, au passé ressassé, au présent difficile, au futur incertain.
Il sait toutefois éviter le pathos - alors que le sujet aurait pu s'y prêter - grâce à des situations tantôt loufoques, tantôt fantastiques, et des dialogues souvent très drôles :
"Ce type est sale type, dit Chess. Et t'as vu comment il s'habille ? On dirait qu'il s'est battu avec les années 70 et qu'il a pris une trempe."
"Chess et Checkers, attablées dans la cuisine de Thomas, mâchonnaient leurs sandwiches "regrets", c'est-à-dire deux tranches de pain entre lesquelles on regrettait qu'il n'y eût rien."
Le chômage et l'alcoolisme, deux maux rampants et récurrents, rôdent dans les réserves et rongent les corps et les esprits, faisant éclater violence ou drames familiaux.
Restent les histoires, les chansons, les esprits nombreux et jamais loin qui soutiennent, à travers les âges, leurs enfants meurtris.
Ils en ont bien besoin.
Champindian book.
Il faudra qu'un jour je prenne le temps de créer une rubrique pour les "livres en images" qui ne sauraient dépendre des BD, romans, ou images de passage.
Alors en attendant, et à défaut, je les range au petit bonheur la chance.
Ainsi en est-il de Paris vs New York, de Vahram MURATYAN, qui a compilé en plus de 200 pages plus de 100 matches entre les deux capitales les plus célèbres du monde (aucun chauvinisme de ma part, bien sûr...).
Cafés, pâtisseries, mode, métro, monuments, voies de circulation, art, société, vie... Tous les aspects de ces mégapoles marquées par l'histoire et qui l'ont marquée se retrouvent en face à face, double page après double page, avec simplicité, justesse et talent : pas un trait ou une couleur de trop, juste de l'essentiel, avec intelligence et subtilité.
Certains pourraient crier à la facilité, les spécialistes et graphistes pourraient s'insurger, pour les non-inités que nous sommes - ou en tout cas dont je fais partie - c'est drôle, c'est beau, c'est bien trouvé, et ça donne envie d'arpenter de nouveau les rues des deux protagonistes.
Replongeons-nous dans les pages en attendant le voyage...
Champimages qui ping-ponguent
"Tu ne peux m'être plus proche qu'en restant ma première destination".
"Loin des yeux loin du coeur" dit le proverbe.
Mais les phrases toutes faites ne s'appliquent pas aux gens d'exception.
Ils sont peu nombreux, mais ils sont.
Laurent GIRERD en fait partie, et sa Nathalie aussi, sans aucun doute.
Alors, pour eux, la distance n'engendre pas la distance, bien au contraire.
Elle entretient le désir. L'amour.
Mettre mes mots pour parler de ce bref mais intense voyage au pays du coeur et de l'espace - et de l'espace du coeur - ne saurait lui rendre justice.
Je me contenterai donc des mots de l'auteur, et de ceux qu'en amoureux de la littérature et de la poésie il a cueillis au gré des pages.
"Se tenir dans les tempêtes de printemps sans redouter qu'après elles puisse ne pas venir l'été." (RILKE).
"L'attente
qui a précédé notre rencontre
ne compte plus
à la vérité
l'amour commence avec la séparation"
(JIHEI)
"En vérité, je ne redeviens homme qu'à l'instant où mes mains s'arrondissent au contact de ta peau."
"Pour continuer à te séduire, je ne connais rien de mieux que de travailler à rester digne."
Brève apologie de l'éloignement amoureux, mais surtout belle apologie de l'amour et de la femme qui l'a fait naître.
Avec en filigrane - et en couverture - l'étrange Mélusine, figure tutélaire du caché et de l'offert, essence même du nécessaire secret respecté.
Un livre qui nous rappelle combien l'art nous est indispensable pour transcender la vie.
Tout simplement.
Merci à toi Laurent.
Champi à des années lumières...
(Pour ceux qui l'auraient oublié, j'avais chroniqué le précédent ouvrage de l'auteur ici).
"J'ai le sentiment que, moins [William Shakespeare] en dit, plus c'est beau. Savez-vous qu'elle est sa phrase que j'admire le plus ? "Le jour radieux décline et nous entrons dans les ténèbres."
J'aurais aimé connaître ces mots le jour où j'ai regardé les avions allemands atterir les uns après les autres, et leurs navires déverser des soldats jusque dans notre port ! Je n'arrêtais pas de me répéter : "Maudits soient-ils, maudits soient-ils." Je crois que penser au "jour radieux décline,et nous entrons dans les ténèbres" m'aurait un peu consolé. Je me serais senti mieux préparer pour affronter la situation ; au lieu de quoi mon coeur s'est liquéfié."
Eben Ramsey, in Mary Ann SHAFFER & Annie BARROW, Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates.