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  • : La Tanière du Champi
  • : La Tanière du Champi se veut un lieu où l'on se sent bien pour lire (surtout des BD !), discuter, jouer... Au gré des humeurs, lectures, heures de jeu, j'essaierai de vous faire découvrir tout ce qui se cache sur les étagères poussiéreuses de ce petit mo
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Cases dans le vent

Vous n'êtes pas sans savoir que, depuis quelques mois, je rédige des biographies d'auteurs de BD pour des l'encyclopédie en ligne des Editions Larousse.

Afin de vous permettre de retrouver plus rapidement l'ensemble de mes contributions, je vais essayer de les lister ici dans l'ordre de leur parution.

Bonne lecture, et n'hésitez pas à me laisser vos avis !

Champi à tout vent

David B. - Edgar .P. JACOBS - Bob de MOOR - Benoît PEETERS - François SCHUITEN - René GOSCINNY - Astérix - Manu LARCENET - HERMANN - Robert CRUMB - Osamu TEZUKA  - Jean-Pierre GIBRAT -





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4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 22:18

"Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaireLundi 2 mai 2005

L'acrobatie l'avait un peu secoué, ce qui n'avait rien d'étonnant, vu que ce jour-là, Allan allait avoir cent ans. La réception organisée pour son centenaire, dans le réfectoire de l'établissement, commençait dans une heure à peine. L'adjoint au maire lui-même était invité. Tous les vieux étaient évidemment sur leur trente et un, ainsi que le personnel au complet avec Alice la Colère en tête de peloton.

Seul le roi de la fête allait manquer à l'appel."

 

Allan Karlsson est presque né avec le siècle - le XX°, s'entend.

Cent ans plus tard, le voilà au bord de la fenêtre de la chambre qu'il occupe depuis peu et bien malgré lui dans la maison de retraite de Malmköping.

Que fait-il là ?

Non, pas sur ce bord de fenêtre.

Mais dans cette maison de retraite.

Lui qui a su traverser le siècle à la force de son flegme, de sa franchise, et de son art de ne pas se créer d'ennuis, comment a-t-il pu finir dans ce mouroir ?

 

Qu'à cela ne tienne. Il en a vu d'autres. Il fêtera son anniversaire ailleurs que dans le réfectoire, ailleurs qu'au milieu de ces gens qui ne portent que des chaussons-pisse ("on les appelle comme ça parce que les hommes d'un certain âge ont du mal à faire pipi plus loin que le bout de leurs chaussons").

La gare routière n'est pas très loin, donc le monde non plus. En tout cas le reste de la Suède, pour commencer.

 

Le (très) vieil homme entame alors un long périple à travers son pays et son histoire. Une histoire longue, très longue, chargée des rencontres les plus improbables, les plus inattendues, toutes - ou presque - en lien avec les grands événements de l'histoire du XX° siècle. Rien que ça.

Un tel bonhomme ne pouvait décidément pas finir ses jours entre les murs d'un hospice.

 

 Jonas JONASSON - qui porte un nom aussi scandinave que son héros ! - a composé une histoire au long cours drôle et atypique. En suivant les pas de son incroyable personnage - que rien ne semble démonter ou surprendre, et qui dispose d'un extraordinaire sens de l'improvision et de l'à-propos, sans parler du bienveillant hasard qui l'accompagne - il trame un road-movie policier qui lui permet de mettre en scène une hilarante galerie de personnages plus ou moins marginaux, et brosse le portrait d'un siècle haut en couleurs et en horreurs : le XX°.

Pourtant, loin de sur-dramatiser ou de s'apitoyer sur les événements qui ont fait saigner l'histoire, il porte sur les guerres et sur leurs grands acteurs un regard décalé qui permet, malgré tout, d'en rire.

Tel un Forrest Gump de l'histoire mondiale, Allan a croisé les plus grands, les plus terrifiants, et s'en est toujours sorti - et même plutôt bien.

Il ne s'est toutefois pas contenté de passer à travers les mailles de l'histoire, comme vous pourrez le découvrir. Non, définitivement, tout porte à croire que, sans Allan, le monde serait allé autrement.

 

Remercions donc Jonas JONASSON de nous avoir fait découvrir ce rouage secret de l'histoire universelle, et de nous l'avoir fait découvrir avec autant d'humour.

Un humour que j'attendais un peu plus hilarant, au "lu" d'une critique faite par Yves FREMION dans un Fluide Glacial, mais un humour qui fait mouche, qui s'inscrit dans la tradition scandinave découverte avec Arto PAASILINNA, et qui sait s'installer dans la durée.

 

Un road-movie policier, un livre d'histoire, et un roman humoristique qui fleure bon l'absurde : trois plaisirs pour le prix d'un, et un tour du monde et de Suède en plus.

Il faudrait vraiment être difficile pour s'en priver !

 

Champi centenaire

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14 août 2011 7 14 /08 /août /2011 14:45

Ce cher Dexter

 

 

"Qu'est-ce que le sommeil, en définitive, sinon le moyen de reléguer notre démence au fond de la trappe sombre de notre subconscient pour nous réveiller le lendemain prêt à manger un bol de céréales et non les gosses du voisin ?"

 

 

Jeff LINDSAY, Ce cher Dexter

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14 août 2011 7 14 /08 /août /2011 14:12

Assez parlé d'amour

 

"Je comprends soudain ce que dit aussi ta phrase, en creux : qu'avec moi, tu quitterais la sérénité d'une éternité illusoire où les jours ne sont pas comptés pour un monde incertain où ils le sont tous."

 

Hervé LE TELLIER, Assez parlé d'amour

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1 août 2011 1 01 /08 /août /2011 18:15

Oscar Wilde et le jeu de la mortAmis de Bruce LEE et/ou de Kill Bill, passez votre chemin : le "jeu de la mort" dont il s'agit ici ne s'accommode pas d'un survêtement jaune et noir passé à la postérité suite à une disparition mystérieuse et à un retour sanglant.

 

Amis d'Oscar WILDE, des romans policiers, des bons mots, et du premier tome des aventures de notre auteur-enquêteur (mais si, souvenez-vous,  Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles !), vous êtes par contre bel et bien au bon endroit.

 

Voici en effet le deuxième opus des aventures du dandy perspicace, toujours flanqué de son comparse et admirateur Robert Sherard.

Ses pas nous conduisent dans le Londres embrumé de 1892. Sa pièce L'Eventail de Lady Windermere est un succès depuis quelques mois déjà, mais ne lui attire pas que des amis.

Pourtant, prompt à jouer aux jeux les plus risqués, Oscar Wilde ne craint pas d'inviter à sa table, au sein du très distingué Club Socrate qu'il a mis sur pied, les plus jaloux.

Le voilà donc, un beau soir de mai, entouré de treize convives - portant à quatorze le nombre de participants, la supersitition est sauve ! - proposer de jouer à l'inattendu et déroutant "jeu de la mort" : chaque participant note, sur un bout de papier, le nom d'une personne qu'il aimerait voir morte.

Tous les papiers sont regroupés dans un chapeau, puis tirés l'un après l'autre. Le jeu consiste alors à essayer de deviner qui a désigné chacune des cilbles...

Mais, bien vite, le jeu se fait macabre, certains noms apparaissant avec une inquiétante répétition...

 

Comme lors de sa précédente mise en scène du plus lettré des enquêteurs, Gyles BRANDRETH offre à ses lecteurs une véritable énigme qu'Agatha CHRISTIE ou Arthur CONAN DOYLE n'auraient pas désavouée. D'ailleurs, le père de Sherlock Holmes est de nouveau de la partie, rappelant, par moment, les étranges similitudes entre sa créature de papier et l'illustre Oscar.

De plus, en spécialiste éclairé et volubile de WILDE, BRANDRETH sait nous faire partager, à travers descriptions, situations et bons mots, son admiration pour l'écrivain. Difficile de rester insensible au charme de son à-propos, de ses tirades, de son élégance et de ses goûts vestimentaires ou gastronomiques.

 

Bien sûr, une bonne partie de l'action se déroule "entre hommes", dans des clubs distingués où l'on reste entre soi, mais les femmes, notamment Constance WILDE, y jouent tout de même un rôle - même si elles sont avant tout les "épouses de...". Constance est d'ailleurs l'objet de nombreuses, trop nombreuses peut-être, attentions...

Bosie, Bram Stoker, sont également de la partie, sans oublier Shakespeare, qui apparaît régulièrement au détour d'une phrase.

 

Humour, érudition, énigme : tous les ingrédients sont réunis pour faire de Oscar Wilde et le jeu de la mort une réussite complète, qui réjouira les amateurs de casse-tête autant que de bons mots.

Bien que l'action se déroule parfois en dehors de la capitale, Londres est le principal décor de cette nouvelle aventure du détective en flanelle, et joue inconstestablement l'un des premiers rôles. Le petit plan proposé en ouverture est d'ailleurs le bienvenu pour suivre au plus près les déplacements des deux héros.

 

Laissons pour terminer la parole au roman - et à ses protagonistes.

 

"L'esprit de sérieux est le péché originel du monde. Si les hommes des cavernes avaient su rire, l'histoire aurait été bien différente... et tellement plus plaisante."

O. WILDE

 

"Considère un nom illustre comme le joyau le plus précieux que tu puisses posséder, car l'estime est comme le feu : une fois que tu l'as obtenue, tu peux facilement la conserver, mais si tu la laisses s'éteindre, il te sera difficile de la retrouver. La méthode pour avoir bonne réputation est d'oser être tel que tu souhaites que l'on te voie."

SOCRATE

 

"J'ai passé deux appels ce matin, Robert. Tout deux longue distance, ce qui explique pourquoi je suis un peu enroué."

O.WILDE

 

Champi au pays du dandy

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20 juillet 2011 3 20 /07 /juillet /2011 14:46

L usage du mondeCela fait deux "pensées en passant" déjà que vous devez vous douter que j'ai passé ces derniers jours plongé dans L'usage du monde, de Nicolas BOUVIER.

Vous avez raison.

 

Etrange petit livre dont le titre et la couverture avaient longtemps produit sur moi un effet quasi-hypnotique : "touche ce livre, achète ce livre, lis ce livre", comme un irrésistible litanie.

 

A force de lui tourner autout, j'avais donc acquis le petit fascicule - dans la belle et malheureusement aujourd'hui fermée librairie La Petite Fatigue - et lui avait trouvé une place de choix - à savoir entre d'autres livres d'auteurs en "A" ou en "B", un peu d'ordre tout de même ! - en attendant de trouver le temps.

 

Et ce temps est venu avec l'été, et les vacances, qui offrent autant d'occasions de barboter que de se plonger dans la lecture.

 

Me voilà donc parti sur les routes d'Europe centrale, puis orientale, puis tellement extrême orientale qu'elle finit par en devenir Asie.

Pendant près de deux ans, Nicolas BOUVIER, humaniste, curieux du monde, écrivain à ses heures, et collecteur de musiques tradionnelles, et son compagnon Thierry VERNET - dont les dessins à l'encre illustrent l'ouvrage - peintre, musicien, aventurier, et amoureux de celle qu'il doit rejoindre en Inde, ont arpenté villes et surtout villages, de Genève à Kaboul.

 

Long voyage en voiture, s'il vous plaît, raconté avec humour, précision et tendresse par un Nicolas BOUVIER fin observateur, amoureux de mots, des belles métaphores et des expressions imagées, qui sait plonger le lecteur, en quelques lignes, dans les ambiances les plus étranges, étrangères ou exotiques. L'hiver rude, les maisons de bois, de terre, de bric et de broc. Les visages burinés, fermés, magnifiques, mystérieux. Les odeurs de tabac découvert, de boissons improbables, de plats inconnus. Les paysages, plaines, plateaux, montagnes se succédant en majesté.

 

Grâce à leurs instruments de musique, leurs pinceaux, leur machine à écrire, leur magnétophone - ils collectent les chants et les musiques les plus inconnus, dans les villages les plus reculés - et surtout leurs yeux grands ouverts, ils se voient ouvrir portes, visages et coeurs presque partout où ils passent. Où ils s'arrêtent, parfois, bien malgré eux, pour de longs mois.

 

Car les routes sont peu praticables, pas toujours très sûres, et certaines réparations ou pièces de rechange se font parfois longtemps, très longtemps désirer...

 

Plonger dans L'usage du monde, c'est attiser le feu de l'aventure qui brûle au fond de chacun de nous et nous rappelle que les plus beaux trésors ne sont pas enfouis sur des îles désertes des Caraïbes, mais dans bien des bouges au bord de nos routes eurasiennes.

L'envie nous prend alors d'emboîter le pas des deux aventuriers, de partir sur ces chemins qui commencent chez nous mais que nous ne suivons jamais bien loin.

 

C'est à ce moment-là qu'une cruelle réalité nous saute aux yeux : ce voyage a plus de cinquante ans. Cinquante ans... Car c'est en 1953 que les deux compères enfourchèrent leur glorieuse mécanique pour partir à l'assaut du monde. A une époque où internet, la téléphonie sans fil, le Guide du Routard, même, n'étaient sans doute encore que des concepts.

A une époque aussi, surtout même, où la méfiance aveugle envers l'autre n'était peut-être pas encore une généralité, même si entre "autre" et "hôte" s'immisçait déjà le "r" de "regard en coin" ou de "réflexe de recul".

 

Qui sait ce que donnerait aujourd'hui un tel voyage, dans des conditions similaires ? Combien de mains encore tendues pour aider à résoudre un problème mécanique au bord d'une route sauvage ? Combien de portes ouvertes pour offrir une soupe, un morceau de pain, un verre d'alcool forcément fort, imbuvable même, mais tellement convivial ?

 

N'avançons pas plus loin sur la voie du pessimisme, et replongeons dans la fraîcheur du regard de Nicolas BOUVIER, lucide mais émerveillé devant un monde dont les usages toujours plus surprenants, toujours plus inattendus, sont le moteur même des voyages et des rencontres.

 

Le livre s'ouvre avec SHAKESPEARE et se referme EMERSON.

Offrons-leur les derniers mots :

 

"I shall be gone and live or stay and die."

S.

 

"Une fois ces frontières franchies, nous ne redeviendrons jamais plus tout à fait les misérables pédants que nous étions."

E.

 

Champimage du monde

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11 juillet 2011 1 11 /07 /juillet /2011 16:19

Je François Villon

"Frères humains, qui après nous vivez,

N'ayez les coeurs contre nous endurcis,

Car, si pitié de nous pauvres avez,

Dieu en aura plus tôt de vous mercis."

 

Ainsi commence la ballade des corps qui se balancent au vent du gibet, la célèbre Ballade des pendus qui, entre autres, fit le succès de son auteur, François VILLON, dans le coeur de ses contemporains déjà.

 

Margot, tavernes, amis, filles d'un soir, monseigneurs, amours profonds... Ils sont nombreux à avoir eu les honneurs des vers les plus inattendus de ce XV°siècle parisien baignant dans la fange, la misère, la violence, la famine, et un alcool trop fort pour laisser indemne.

Face à la religion et ses chantres souvent implacables, face à une justice du poing d'acier, face à une féodalité où rares sont ceux à pouvoir s'écarter de leur chemin de naissance, comment résister sinon par les mots et l'excès ?

Excès d'humour, excès d'humeurs, excès d'amour, et la recherche d'un toujours plus forcément inaccessible et forcément destructeur...

 

Autant d'excès qui portent maître François depuis sa naissance, marquée au fer rouge : "Jeanne a été brûlée. Dans la salle Saint-Louis de l'Hôtel-Dieu, tout le monde était stupéfait. Moi-même, j'en suis tombé de la vulve de ma mère !"

 

Dans ce siècle encore trop jeune, les repères ont déjà volé en éclat : la pucelle-symbole d'un pays en résistance n'est plus, et le plus brillant poète des siècles passés et à venir affûte ses vers dévastateurs.

Il a matière à aiguiser, le bougre, entre le corps pendant et oscillant de son père et la silhouette de sa mère qui, poussée par la nécessité, connaît le sort malheureux des voleurs...

Elle a toutefois eu la présence d'esprit - et on l'en a traitée de faible ! - de confier son fils unique et chéri à Guillaume de Villon, généreux homme d'Eglise qui n'aura de cesse d'éduquer le jeune François, et de subir les conséquences de ses actes...

 

Une fois lettré, bien sur pieds, et la langue bien pendue, le jeune prodige s'adonne à tout, sans limite, cherchant la destruction mais ne trouvant que le génie.

Rejetant ses amours, reniant ses amis, il s'enfonce dans le pire à la recherche peut-être d'un absolu qui n'existe que dans ses mots.

Les premiers vers qu'il disperse au vent s'arrachent comme des petits pains à cette époque où on en manque, et les dents noircies du peuple de l'entre-deux, à défaut de victuailles, mâchent les mots qu'on se répète de taverne en taverne, quitte à froisser les puissants, ou les amuser. Un temps.

 

Etrange et fascinant destin que celui de François VILLON, poète maudit et romantique avant l'heure.

Terriblement et profondément marqué par une vie à qui il le rend bien, il met en actes et en mots sa colère, ses regrets, ses surprises, ses dégoûts, ses maigres espoirs, son désenchantement...

 

Portée par le verbe éclatant de Jean TEULE, cette biographie romancée nous plonge dans ce monde sale et cruel qui fut notre passé pas si lointain, dont on ne retient souvent que les images d'Epinal de la Jeanne aux yeux dans le ciel ou de Charles le roi fou.

Mais cette époque était aussi celle de la boue qui colle aux vies, de l'injustice héréditaire, de l'impossible rébellion, et des inévitables et incontrôlables éclats, soupapes d'une colère populaire toujours plus forte.

Le quartier de la Sorbonne bouillonne, il a trouvé son hérault, mais ce dernier, poursuivi par les foudres des hommes, de Dieu, et de son insatisfaction, ne sait trouver le repos.

La route l'appelle, la prison le détourne un temps, et quand son corps, son coeur et son esprit pensent avoir tout enduré, il part, sans se retourner, vers le seul objectif qui soit à sa hauteur : l'horizon.

 

Merveilleuse et poignante occasion de découvrir la vie et l'oeuvre du premier des poètes ce chair et de chancre, Je, François Villon, est à lire une chope à la main, le nez dérangé par les ferments de la grouillante vie citadine, et les cheveux agités par le vent du génie révolté.

 

"Dites-moi où, en quel pays..."

 

Une vie à jamais rythmée par le balancement hypnotique des corps le long des gibets...

 

Champillon

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18 mai 2011 3 18 /05 /mai /2011 11:34

Les FalsificateursSeptembre 1991. Sliv Dartungover, jeune islandais et jeune diplômé en géographie, prospecte un marché du travail pour le moins fermé. Après avoir manqué postuler comme "adjoint du directeur de l'export d'une conserverie", il entre comme "chef de projet d'un cabinet d'études environnementales", le cabinet Baldur, Furuset et Thorberg.

 

Trois noms qui vont le poursuivre, de Reykjavìk jusqu'à Krasnoïarsk, durant un long et formateur tour du monde, sur les pas de Lena Thorsen, qui l'a précédé à ce poste et qui, par les écrits qu'elle a laissés derrière elle, devient peu à peu sa rivale.

Non pas qu'un cabinet d'études entretienne la rivalité entre ses agents... Mais l'organisation qui se cache derrière, oui.

Car la modeste enseigne islandaise est l'une des nombreuses façades du CFR, Consortium de Falsification du Réel, groupe mondial et tentaculaire qui, par un lent et minutieux travail de modification des sources écrites (livres, documents, recherches universitaires, listes, recueils, bibliographies...) essaie d'infléchir le cours de nombreuses petites histoires, et à terme de l'Histoire...

 

S'ensuit une progressive découverte par le jeune homme, sous l'oeil protecteur de Gunnar Eriksson, son mentor,  des rouages du CFR, de son organisation interne, d'une partie - seulement - de ses objectifs, et de ses moyens. De ville en ville, de bureau en centre de formation, de rencontres en dossiers, Sliv expérimente un monde totalement nouveau, souterrain, paranoïaque, obscur, mais particulièrement motivant pour son appétit intellectuel : accumuler de l'information, de la documentation, penser à toutes les échelles, imaginer les orientations les plus probables et les plus bénéfiques... Autant de défis qui, s'ils ne lui laissent pas de répit, lui donnent l'impression de vivre intensément, et d'avoir une réelle emprise sur le monde.

Particulièrement intéressé par les scénarios, il manque parfois de prudence en matière de vérification des sources, au risque de peut-être en oublier certaines.

 

Méticuleux observateur du monde qui nous entoure, Antoine BELLO, fort de son expérience professionelle de chef d'entreprise, nous livre un univers particulièrement crédible : cabinets d'études, relations avec des organismes gouvernements, géopolitique, ressources humaines, psychologie du management... Tout est convoqué pour faire de ces Falsificateurs des agents particulièment bien informés, efficaces, et potentiellement réels... Une manière de donner un nouveau visage aux innombrables théories du complot qui fleurissent depuis des siècles, un visage réactualisé.

En plaçant l'action de son roman dans les années 90, l'auteur met aussi en lumière un des changements majeurs dans le monde de l'information et de la source documentaire : le passage du document matériel au document numérique. Une révolution évoquée à la fin de l'ouvrage, et sans doute développée dans la suite, Les Eclaireurs.

Avec un style relativement sobre, Antoine BELLO démonte les complexes rouages d'une société secrète, et plus largement du fonctionnement de bon nombre de dispositifs contemporains, à la fois dans leurs composantes humaines - compétition et coopération subtilement alternés - et dans leurs rapports aux sources d'informations, véritables moteurs de la politique, l'économie, l'Histoire...

Un sain rappel à la prudence face aux mots, aux images, aux preuves de toutes sortes qui, en tant qu'objets, sont tout à la fois subjectifs et falsifiables... Sans nous faire sombrer dans la paranoïa, un indirect appel à la vigilance.

 

Intéressant.

 

Champi entre les mots.

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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 21:20

Zulu"Tu as peur, petit homme ? ... Dis : tu as peur ?

Ali ne répondait pas - trop de vipères dans la bouche.

_ Tu vois ce qui arrive, petit Zoulou ? Tu vois ?!"

 

Les souvenirs qui ouvrent les pages de Zulu sont à jamais collés à la mémoire d'Ali Neuman. Souvenirs qui collent, qui puent, qui pleurent, qui pissent, qui souffrent, qui meurent.

 

Cape Town. Quelque part en Afrique du Sud. Non loin de Khayelitsha, "nouvelle maison", un immense bidonville. C'est là que vit Josephina, la mère de l'inspecteur de police. C'est là que les gangs de tous horizons croisent, en toute impunité, faisant circuler armes, drogues, violence...

 

Dans un pays déchiré par l'Histoire - celle d'avant, de pendant, d'après l'apartheid - la Mort joue à domicile, sous toutes les formes et toutes les couleurs. Rien d'étonnant, donc, à découvrir, un beau matin, le corps mutilé et défiguré d'une jeune fille - une Blanche - au coeur d'un jardin botanique, parmi des fleurs si parfumées...

 

Neuman et ses acolytes habituels - Brian Epkeen, séducteur chiffonné malmené par la vie, et Dan Fletcher, jeune père de famille trop efféminé pour être pris au sérieux, et un peu trop émotif... - sont mis sur l'enquête, et déroulent peu à peu les fils d'un impropable mariage entre tous les étages que compte l'explosive et explosée société sud-africaine, réunis par le pouvoir et l'argent - moteurs séculaires de la plupart des horreurs humaines...

 

Pas question d'en dire plus ici : le tout vous attend derrière une couverture grimaçante et grinçante qui sonne comme la rouille qui suinte, s'immisce, et dont on ne se défait jamais...

 

Zulu est à l'Afrique du Sud ce que  Bangkok 8 est à la Thaïlande : un polar implacable, radiographie sans concession d'un pays qui, malgré les espoirs de la fin de l'apartheid, n'en finit pas de se consumer. Broyée par les horreurs du passé, l'Afrique du Sud se déchire aujourd'hui sous les assauts d'un monde moderne et impitoyable (sic) qui n'y voit qu'un terrain de jeux de plus...

 

Avec une plume précise et - c'est un comble - poétique, Caryl FEREY brosse le portrait d'un pays qui semble à jamais prisonnier de son agonie, de la violence, de l'horreur, des clivages, des incompréhensions, de la déshumanisation. A travers des personnages très complexes, très forts, et pourtant bien impuissants, il navigue entre quartiers hautement sécurisés et bas-fonds sordides, dans une Afrique du Sud qui cherche, à la veille de la Coupe du Monde de football, à redorer son image.

Mais le passé à la vie dure, et le pays, à l'instar de l'inspecteur Neuman, ne peut exorciser ses démons. Et quand un bref espoir semble surgir, à travers une inattendue et sauvage beauté d'ébène, par exemple, il est bien trop fugace pour être saisi par des mains à jamais recroquevillée sur les douleurs du souvenir.

 

Zulu, polar sombre et brillant, au style admirable et au réalisme désespérant.

 

"Les oiseaux tiraient des diagonales impossibles entre les angles de la falaise ; ils piquaient vers l'océan, s'inventaient des suicides, revenaient, à tire-d'aile..."

 

Chute fragile et incessante qui, malgré les courants ascendants, ne peut s'achever dans les cieux...

 

Champimpuissant face au monde qui chancelle

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18 septembre 2010 6 18 /09 /septembre /2010 08:26

Le-Voyage-d-Anna-Blume-copie-1.jpgAnna est à la recherche de son frère, qui est parti et qui a disparu.

 

Elle débarque dans une immense cité anonyme frappée par la ruine, la faim, la folie. Avec distanciation, elle décrit la société de survie et de désespoir qui s'y est développée, avant d'y sombrer.

Car la "Cité de la Désolation" (citée en avant-propos, empruntée à Nathaniel HAWTHORNE) est un ogre implacable et sans répit.

 

Après avoir suivi Paul AUSTER dans les rues new-yorkaises, nous voilà juste derrière son épaule, lui-même lisant d'un regard faussement détaché le journal rédigé par Anna, dans un grand cahier bleu qui compte trop peu de pages.

 

Dans cette interminable cité à laquelle on ne peut penser sans imaginer les immenses gratte-ciel de New-York, le froid, la misère, la détresse rôdent bien plus sûrement que des meutes de loups.

Un gouvernement instable et fantôme entretient un semblant d'ordre coercitif et incohérent, et des groupes plus ou moins importants, plus ou moins structurés, organisent un recyclage généralisé ou un acheminent accéléré vers la fin.

 

Et, entre folie(s) et décombres, Anna cherche William.

Un chemin parsemé d'embûches et de rencontres. De bribes d'espoir ou de faux radeaux.

 

Le titre original de l'oeuvre, In the Country of Last Things, en dit long sur la fin du monde qui semble se profiler à chaque page. Dans cette ville atopique et atemporelle, tout est à la fois suspendu et en lent effritement. Chaque souffle désagrège des morceaux de vie, chaque mot tombe comme un nouveau flocon de cendre dansant au-dessus du dernier brasier.

L'ailleurs d'où Anna vient, et auquel elle adresse son journal de voyage, se perd dans une nébuleuse qui n'existe sans doute plus que dans la mémoire. Perdu derrière des murailles que l'armée surveille et surélève.

 

Livre des illusions et de l'inéluctable fin, La Voyage d'Anna Blume en serait presque suffocant, s'il n'était pas aussi bref. Heureusement. Ne disposant que d'un seul cahier, Anna n'a pu tout nous (d)écrire. Heureusement. Le froid commençait à s'immiscer.

 

"J'ai essayé de tout faire tenir, d'arriver au bout avant qu'il ne soit trop tard, mais je me rends compte maintenant que je me suis très lourdement trompée. Les mots ne permettent pas ce genre de choses. Plus on s'approche de la fin, plus il y a de choses à dire. La fin n'est qu'imaginaire, c'est une destination qu'on s'invente pour continuer à avancer, mais il arrive un moment où on se rend compte qu'on n'y parviendra jamais. Il se peut qu'on soit obligé de s'arrêter, mais ce sera uniquement parce qu'on sera à court de temps. On s'arrête, mais ça ne veut pas dire qu'on soit arrivé au bout."

 

Champittéraire

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16 août 2010 1 16 /08 /août /2010 10:45

CosmofobiaJe vous déjà parlé des soirées littéraires qui me permettaient de découvrir des titres et des auteurs dont je m'approcherais peu, en temps normal, en librairie.

Lucìa ETXEBARRIA avait déjà attiré mon attention il y a quelques années, avec  Aime-moi por favor.

Cosmofobia s'en rapproche, en tricotant avec finesse un dense réseau de personnages présentés à tour de rôle dans des chapitres construits comme des rencontres préliminaires à des reportages ou un ouvrage. 

Cosmophobie (n.f.) : peur morbide du cosmos et de la conscience de la place qu'on y occupe.

Le cosmos ici semble se limiter à Lavapiès, quartier populaire au coeur de Madrid. Destins et personnages s'y croisent, de près ou de loin, autour de la ludothèque, qui relève davantage du centre social pour enfants et mères seules que du terrain de jeux, de la Taverne illuminée, bar et galerie d'art branchés où cohabitent les classes sociales, et du parc, lieu privilégié pour les errances amoureuses ou grisailles. 

En un procédé relevant autant du journalisme que de la fiction - comme elle le détaille en fin d'ouvrage - l'auteure porte un regard tendre et lucide sur un microcosme que tout semble séparer - familles pauvres et souvent immigrées d'un côté, strass et superficialité des milieux artistiques et de la mode de l'autre - mais qui trouve ses ferments dans ce quartier mosaïque. Les hommes y sont violents ou lâches, les femmes amères ou soumises, et rares sont celles et ceux qui sont vraiment heureux : secrets, souffrances, rêves brisés... Rares sont celles et ceux qui peuvent encore prétendre à la réalisation de leurs illusions. Pour les autres, tout est déjà joué, à moins de chercher à rompre le carcan des habitudes et de la monotonie quotidienne. Rude exercice.

Le poids de l'Espagne n'est jamais loin : douleurs du passé franquiste, Movida, conception très latine de la famille, rapport fort et ambigu au Maroc, mais dans tous ces destins surnagent des éclats de "déjà vu" - en français dans le texte -

et le microcosme de Lavipiès n'est finalement qu'un élément caractéristique du macrocosme social.

C'est sans doute parce que nous sommes des poussières d'étoiles que notre éclat est variable. Et que nos destins sont, qu'on le sache ou non, mêlés. Une sorte d'effet papillon du souvenir cosmique ?

Champittéraire

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