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Raconter est un remède sûr".
Empruntant cette citation à
Primo LEVI,
Brodeck, insolite observateur de la vie de son village anonyme quelque part sur une terre anonyme entre deux mondes qui pourrait s'appeler
l'Alsace, est appelé à raconter les évéments qui ont bouleversé ces dernières semaines la vie réglée - à défaut d'être tranquille - de ses voisins.
Entamant un long
rapport censé expliquer, avec objectivité, les raisons qui ont poussé l'
Anderer à venir, rester, puis repartir...
Brodeck dissèque lentement les
faits, les gestes, la mémoire collective, et ses plus sombres souvenirs, qui suintent peu à peu sous les coups de l'inhumanité qui semble couler dans les veines de tous les villageois, tous les
coupables, tous les méfiants. Sauf dans celles de sa petite Poupchette, qui ne sait pas encore bien parler, de sa douce Emélia, à jamais perdue dans ses pensées, et de la vieille Fédorine, qui
garde toujours un oeil sur le passé.
Commence une lente et longue plongée au coeur de l'âme humaine, de ses faiblesses, ses lâchetés, ses douleurs.
"
La vérité, ça peut couper les mains et laisser des entailles à ne plus pouvoir vivre avec, et la plupart d'entre nous, ce qu'on veut, c'est vivre. Le moins douloureusement possible. C'est
humain".
En quelques mots,
Philippe CLAUDEL esquisse comme une épure littéraire démontrant les mécanismes de la haine et de la méchanceté ordinaires, qu'il résume avec amertume sous le mot si
familier d'humanité...
"
C'est toujours simple de regretter après coup ce qui s'est passé. Ca ne mange pas de pain, et ça permet de se laver à la fois les mains et la mémoire, à grande eau, pour les rendre pures et
blanches."
La chaleur écrase les toits et les âmes, les souvenirs recouvrent les esprits d'un givre bienvenu pour ceux qui s'endorment dans l'oubli, douloureux pour ceux dont le froid ravive les plaies.
"
Il y a en nous les ferments de la déception et de l'intranquillité. Je crois que nous sommes devenus, et jusqu'à notre mort, la mémoire de l'humanité détruite. Nous sommes des plaies qui
jamais ne guérirons."
Sans haine ni méchanceté, avec une douloureuse simplicité,
Philippe CLAUDEL, mettant en écho les horreurs mondiales et ordinaires, laisse peu de place à l'espoir.
A moins qu'il ne soit dans la fuite, loin des toits poussiéreux, des visages familiers, des regards trop croisés pour être encore honnêtes...
Champittéraire