J'emmène mon cheval avec moi
quand arrivent les nuits noires
on s'en va regarder
tourner les éoliennes,
les manèges, les planètes
avec une provision de pépins
sous les sabots
(à planter si possible
juste derrière l'horizon)
alors si on réussit
à avoir tous les deux
le courage du coquelicot,
on aura des forces
pour les jours à venir
Albane GELLE
(merci à Cy TWOMBLY pour ses coquelicots)
"Au moment où il n'y aura plus de mots pour s'asseoir
Nous resterons debout sans phrase pour nous soutenir
Avec entre les mains le fil décousu de nos ourlets sauvages
Pour ne pas tomber mon petit,
Je me recouds chaque jour au grand tissu."
Laurence NOBECOURT, Vivant jardin suivi de Poème perdu
Que ferons-nous demain ?
Si le temps est rond comme tout le monde le dit et bleu comme une orange je vais me retrouver gambadant dans l'herbe folle
Si je me cherche
Si j'en ai envie
Si je cours vite
Car le temps presse
Si je ne crains pas le soleil qui se lève
Si je reste en équilibre sur ce fameux fil de soie
Ignorant les tempêtes
Si je renonce au coucher de la terre et aux cieux qui s'embrasent
Demain est riche en si
Les mots du père (Jean Louis) vibrent avec les images et les couleurs du fils (Johan) dans cette exploration d'un simple mot qui, du haut de ses une lettre de plus que la main, nous conduit de case en case et de jour en jour à croiser saisons, rencontres, haut, bas, souris, dragons, lucioles, étoiles, esprits et mots.
"Demain même quand j'étais petit ça existait déjà..."
Au creux de la poésie, une piste de jeu à inventer les mots, les images, les demains. Comme une invitation.
La famille TROÏANOWSKI n'en finit pas d'être généreuse avec ceux qui se baignent sous les pluies d'étoiles...
L'heure mauve
La dame-jeanne au bout du quai
repose cul sec dans son pull à losanges
Quarante miettes de pain se partagent
la cale de halage
Sur sa chaise en toile
le vieux écoute
Le bogue qui gobe
une bulle d'oxygène
L'hirondelle couturière qui taille
le soir en satin
Entendre enfin
avec l'acuité d'un homme
qu'aucun brouillard n'enveloppe
Sur ses genoux cassés
il pose deux mains fortes d'une joie contenue
sous le voile de l'oisiveté
Tout est en place
Le sol compañero
Les mimosas divisionnistes sur la colline
Les bâtons de ski pour demain encore
venir à bout des cent quatre-vingts marches
Que n'ai-je
pense-t-il
trois coeurs comme la pieuvre ?
Le garçon se redresse
auréolé d'une couronne d'anchois
A l'entour
une douce euphorie distille ce que la pudeur
ne dira jamais qu'avec des silences
Ami
reste tout contre
Qui sait
si demain nous sépare
Dans l'échancrure des falaises
l'heure mauve tamponne
le ciel d'orange mouillé
Anse posée
au revers du monde
Anse aimée
Que les garde-côtes soient les bienvenus :
captureront-ils
les troupeaux de saupes qui broutent
les rogatons d'oursins par un mètre de fond ?
Méjean
Laurent GIRERD
Jacques
Au début j'étais un ballon bleu.
Et puis, je l'ai crevé à cause de l'oeil de ma soeur.
A moins que ce ne soit à cause de tous ces yeux qui m'ont dit du mal
Et ont piqué dans mon hélium pour que je redescende sur terre.
C'est dommage, j'aurais pu rester rond et léger,
Aimer le monde par en-dessous, envoyer des messages et vivre heureux,
Pacsé avec le vent, détaché du fil du temps.
A la place, j'ai construit des angles et des portes,
J'ai tourné le dos à mon ouragan, j'ai plombé mes chaussons d'opinions
Et j'ai tiré sur tout ce qui louche.
J'ai fait ma vie, j'ai fait le grand debout qui marche.
J'ai fait les liens et les attaches, j'ai fait le monde en aller-retour,
Des photomatons de mes rides qui courent.
Et piqué un peu dans des héliums, j'avoue.
C'est dommage parce que je suis sûr que j'ai encore du bleu derrière mon oeil.
Un bleu feutre, un peu sale, comme un oeil d'enfant
Gribouillé au-dessus d'une maison de travers,
Observé par un soleil bardé de traits.
Comme j'en suis sûr, j'attends le retour des fous dans ma tête,
Une brigade de ballons sans idées, comme des bulles de rêves,
Des audaces volantes sans attentes.
Et pour être sûr de ne pas trop attendre, je fais le solennel et je plante.
Ici dans mon jardin secret, ma graine d'Alzheimer.
Plus tard, attaché mais fou comme un enfant,
Je volerai dans mon ventre, j'aimerai le monde sans mémoire,
J'enverrai des mensonges et vivrai heureux, pacsé avec maman,
Détaché de mon fil et de mon vieux tempérament.
Regonflé à bloc, hors du temps.
Théa ROJZMAN, Chacun porte son ciel.
ver laine
trois mailles à l'endroit
trois mailles à l'envers
ainsi tricote-t-on
un pull au ver
Le couverture ne nous trompait pas : Olivier DOUZOU et Anouk RICARD nous proposent de les accompagner au pays de la poésie qui joue sur les mots et les vers.
Déclinés sous toutes leurs coutures, les petits asticots tantôt modelés, tantôt dessinés, tantôt bricolés, racontent le temps qu'il fait, le temps qui passe, et grignotent les pages et les conventions pour mieux nous surprendre, même si certains jeux de mots sont un peu attendus.
L'inventivité d'Olivier DOUZOU est toutefois toujours au rendez-vous, et Anouk RICARD y répond à merveille par ses trouvailles visuelles.
Bon, un dernier (ver, bien sûr) pour la route :
palindrome
un rêve de ver nu
c'est par exemple
d'être habillé de la tête aux pieds
comme un homme
mais c'est le monde à l'envers
pour un ver d'être vêtu
un rêve de ver nu
c'est un palindrome
Petite touche philosophico-entomologique pour finir :
"L'égalité, la seule égalité en ce monde, l'égalité devant l'asticot."
Jean-Henri FABRE.
Une nouvelle petite merveille peaufinée par les éditions du Rouergue.
On en redemande !
Champi véreux ! (c'est de saison)
Et les verres étaient vides
Et la bouteille brisée
Et le lit était grand ouvert
Et la porte fermée
Et toutes les étoiles de verre
Du bonheur et de la beauté
Resplendissaient dans la poussière
De la chambre mal balayée
Et j'étais ivre mort
Et j'étais feu de joie
Et toi ivre vivante
Toute nue dans mes bras.
Jacques PREVERT
(et merci à MODIGLIANI pour son modèle, que je lui avais déjà emprunté...)
"Quelques mots blessés
Tombés du nid de mon esprit volage
Quelques mots chutés
Glissés sur le marbre de ton silence
Quelques mots éteints
Au creux de tes mains par ta voix muette
Quelques mots passés
Et vite oubliés dans la vallée de ton regard
Quelques mots qui crient
Perdus dans la nuit de ton abandon
Quelques mots courbés
Sur la terre remuée du soir qui tombe
Quels mots enfin
Disparus au loin derrière ton vent de sable
Quelques mots qui durent
Pierres dans ma chaussure pour boiter sans fin
Quelques mots gravés
Au creux de mon pied souvenir qui blesse
Quelques mots saignant
A travers les champs après la moisson
Quelques mots qui flottent
Perdus dans ma haute et brumeuse ivresse
Quelques mots qui tuent
Plus de retenue avant celui
de la
fin"
A. B.
Ca faisait longtemps !