"... comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j'avais chaud, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un bock de bière. Je refusai d'abord et, je ne
sais pourquoi, je me ravisai. Elle envoya chercher une de ces charcuteries onctueuses et charnues appelées Rillettes du Mans. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la
perspective d'un triste lendemain, je portai à mes lèvres le verre de bière où j'avais laissé s'amollir une tartine de rillettes. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée de miettes du pâté
toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause."
Toute ressemblance avec un texte déjà lu ou aperçu ne saurait être fortuite, si l'on se réfère à la consigne préalable à ces quelques phrases donnée par
Thierry MAUGENEST, dans la rubrique "L'envie des mets" : "Le choix des mots, c'est aussi le choix des mets. N'évoquez jamais dans votre roman des plats et des
boissons qui ne conviennent pas à la situation ni à la psychologie de vos personnages."
Il est vrai que PROUST n'a pas la même saveur à l'heure charcutière.
Ce petit tour de passe-texte n'est qu'un des nombreux exercices auxquels l'auteur s'est adonné à travers la littérature déchaînée : tantôt compilant, tantôt
transformant, avec l'oeil vif et le verbe humoristique de tout OuLiPien qui se respecte, Thierry MAUGENEST s'est plongé dans le théâtre, la poésie, les romans... de nombreuses époques pour en
offrir une relecture aussi rafraîchissante qu'avisée.
Proposant une typologie d'observations et de réécriture ("L'inspiration", "Le choix des mots", "Perles et coquilles", "Jargon,
confusion et embrouillamini") il emprunte, déforme ou crée, au gré des constats et des contraintes, et nous permet de découvrir certains travers ou traits d'auteurs, ou de prendre
d'agréables contrepieds.
Tics, répétitions, abus, déformations... sont passés en revue et revus à tous les temps, et l'incongru y a toute sa place.
Ainsi "le vieil art de l'écriture" nous permet de pister les malheureuses assocations de mots ("un vieillard en sort", d'Adolphe DUMAS,
"vaincu Loth", de l'Abbé PELLEGRIN) tandis que "corps de texte" pointe quelques libertés prises avec l'anatomie ("Sur le siège, le dos du cocher était étonné d'entendre
pleurer si fort", des frères de GONCOURT).
Terminons ce bref tour d'horizon par le "Copié-collé" initial composé de nombreux incipit : "Le premier matin d'avril lançait ses souffles fleuris sur
l'île grecque de Céphalonie. C'était un matin de dimanche, par une année qui débutait splendidement. Les premiers baigneurs, les matineux déjà sortis de l'eau, se promenaient à pas lents, deux
par deux ou solitaires, sous les grands arbres."
Le tout s'achève par de petits exercices de lecture ou d'écriture, histoire de maintenant le cerveau en alerte, pour le cas où la trentaine de propositions qui
précèdent ne l'aient pas déjà suffisamment titillé.
Gentiment moqueur, l'auteur s'est avant tout livré, avec plaisir et gourmandise, à un bel hommage aux hommes de lettres et à leurs oeuvres, aussi vivantes que
propices aux assauts des lecteures.
Emoustillant et salutaire.
Litté-Champi