
"Collectionner donner une impression de permanence dans un environnement peu rassurant."
(et merci à Claudio PARMIGGIANI pour le visuel !)
Le champignon Saccharomyces ellipsoides est une levure. Tout son être tient en une seule cellule :
une petite "patate" de quelques millièmes de millimètres de diamètre, un sac gélatineux avec tout ce qu'il faut de substances et de mini-organes pour manger et se reproduire.
L'homme est un assemblage de milliards de cellules, de taille et de structures très diverses selon qu'elles constituent notre système nerveux ou la paroi de notre intestin. Une complexité qui
conduit beaucoup d'entre nous à tenir les levures pour des organismes un peu frustes.
Pourtant, en appliquant des critères humains, nous serions nombreux à trouver que les levures ont une existence formidable. D'abord elles se reposent beaucoup, ce qu'on appelle en termes de
levure "faire de la spore". L'état de spore permet aux levures de subsister en période de vaches maigres. Elles ne se réveillent que pour engloutir un petit déjeuner servi au lit : les levures
aiment à vivre à la surface des fruits notamment, qu'elles décomposent lorsqu'ils sont mûrs. Une orgie de sucre dans laquelle les levures prospèrent et se donnent, simplement en bourgeonnant, des
descendants par millions qui profiteront à leur tour de ressources sucrées qui semblent alors ne jamais devoir s'épuiser.
Mais hélas, les levures, tout en se gavant, se débarrassent avec insouciance des déchets de leur orgie. Le garde-manger dont elles dépendent s’empoisonne lentement. En un cataclysme microscopie, le petit peuple des levures s’éteint, intoxiqué par les déchets de sa prospérité.
A l’échelle humaine, c’est une fête qui commence : le déchet principal de l’orgie des levures, c’est l’alcool. Le garde-manger qu’elles ont pollué à mort, ce sont notamment les fruits que l’homme livre à leur gloutonnerie afin qu’elles en transforment le sucre en délices éthyliques. Ce cataclysme qui emporte les levures, nous l’appelons fermentation.
L’homme expliquera que la destinée des levures est la juste sanction d’une stratégie très répandue dans le monde vivant : exploiter, se reproduire et mourir, le tout assez vite. Et l’homme de répéter que la nature, les plantes, les animaux sont prisonniers du présent, aveugles du lendemain. Ils apparaissent insensibles aux conséquences lointaines de leurs actions présentes. Si la levure savait ce qui l’attend, se précipiterait-elle ainsi dans son orgie fatale ? Et l’homme de clamer que cette vision du futur à long terme est précisément l’un des attributs humains essentiels, au même titre que le rire, dont les autres espèces animales useraient sans doute volontiers devant ce spectacle navrant d’une espèce humaine qui considère avec condescendance l’aveuglement des levures, mais qui finalement ne se comporte guère plus sagement que ces minuscules champignons.
Une part de l’humanité a la démographie périlleuse, tandis que l’autre s’entête à exploiter sans mesure les ressources naturelles et à produire en masse des déchets dangereux. Allez donc expliquer aux autres espèces de la planète qu’un sens particulier de l’avenir nous confère une supériorité décisive.
Comme les levures, nous sommes menacés de catastrophes au terme desquelles nous pourrions anéantir avec nous une bonne part des espèces vivantes, lesquelles, malgré le peu d’estime que nous portons à leur conception de la vie, ont peuplé cette planète durablement sans l’avoir trop abîmée.
Si le pire devait arriver, quelques espèces survivraient tout de même. Plus petites et plus prolifiques que
des levures, les bactéries ne se feraient pas prier pour nous décomposer comme de vulgaires poires. Une autre fête commencerait alors. Sans nous !
"Il faut être née dans un port pour avoir envie de s'en aller... ou dans une ville où la gare fonctionne."