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Ce n'est pas le moment de parler du dessin de presse. On pensait pourtant que c'était le moment où jamais de débattre, d'exposer, d'expliquer. Mais non : le directeur du Mémorial de Caen, Stéphane Grimaldi, a jugé que c'était "inimaginable dans ce contexte", décidant de reporter "à des jours meilleurs" les cinquièmes Rencontres internationales du dessin de presse, qui devaient se tenir le week-end dernier dans son musée.
L'ennui, c'est que, "dans ce contexte", les jours meilleurs risquent de se faire attendre un bout de temps. Surtout si l'on donne aux responsables dudit "contexte" l'impression qu'ils sont sur la bonne voie pour parvenir à leurs fins.
Depuis les attentats de Paris et de Copenhague, on ne compte plus, en France et partout en Europe, les déprogrammations de pièces, de spectacles, d'expositions, de films, d'événements culturels, par crainte de "menaces terroristes" ou tout bonnement par souci de ne pas choquer telle ou telle sensibilité.
Que ces reculs en rase campagne relèvent de l'autocensure pure et simple ou du "politiquement correct" porté à l'incandescence importe peu, ils constituent, quelle que soit la raison qui le motive, la pire des réponses à apporter au racket totalitaire auquel nous sommes soumis. Et cette dernière annulation en date, venant de la direction d'un lieu hautement symbolique dédié à la mémoire, à la paix et à la démocratie, qui compte une salle dédiée au 11 septembre et qui consacre une large part de son espace à évoquer la lutte contre l'un des pires totalitarismes du XX° siècle, est peut-être celle qui laisse le goût le plus amer...
On comprend que Stéphane Grimaldi se soucie de la sécurité de son personnel et de ses visiteurs. C'est tout à fait louable. Il n'empêche qu'en agissant ainsi il laisse entendre aux terroristes islamistes et à leurs commanditaires qu'ils sont dans le vrai, que leur idéologie porte ses fruits et qu'ils emploient la bonne méthode. Ce n'est pas le meilleur moyen de les dissuader de continuer leur chantage à la violence et de commettre de nouveaux massacres... On a le droit d'avoir peur des tueurs. Mais on n'a pas le droit de leur laisser croire, de quelque façon que ce soit et pour quelque motif que ce soit, qu'ils ont raison de tuer, que leur stratégie fonctionne.
Il faut cesser de se dire que nous avons affaire à des illuminés ou à des fous furieux. Beaucoup le sont sans doute, mais leurs actes, y compris les plus barbares - surtout les plus barbares -, loin d'être incohérents, répondent à une logique tactique mûrement réfléchie. Et cette tactique est la même que celle qu'utilisent toutes les mafias du monde : la terreur et le racket. Racket qui porte ici sur des valeurs - l'universalisme et la liberté de conscience -, un principe - l'égalité entre les sexes -, un système politique - la démocratie - et un modèle sociétal.
Chaque fois que nous plions au racket, que nous payons le pizzo en croyant nous protéger, nous abandonnons toujours plus de ces valeurs, de ce principe, de ce système et de ce modèle - car le pizzo augmente sans cesse... Jusqu'à ce que, comme le commerçant sicilien ou napolitain, nous nous retrouvions ruinés et contraints de céder la boutique au chef mafieux...
Pour le moment, les jours meilleurs espérés par le directeur du Mémorial de Caen sont fixés à octobre. Espérons que, d'ici là, les mafieux religieux ne seront pas trop gourmands. Espérons aussi qu'il aura mieux pris la mesure du "contexte", mieux identifié sa nature. Sinon, les Rencontres seront de nouveau reportées. Puis reportées, puis reportées, puis définitivement annulées. Et dans un lointain avenir, un tout aussi lointain successeur de Stéphane Grimaldi ouvrira une nouvelle salle, dans le musée reconstruit, consacrée à la mémoire des dessinateurs de Charlie Hebdo et des clients de l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes...
Gérard BIARD, Charlie Hebdo du 4 mars 2015
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