Lorsqu'ils ont appris, jeudi dernier, qu'à Montreuil un lycéen de 16 ans venait de recevoir un tir de Flash-Ball dans l'oeil, les parents de Pierre ont eu un moment d'accablement. "Avec tout ce qu'on a fait..." Cela fait bientôt trois ans qu'à Nantes leurs fils a été victime du même drame et qu'il n'y voit quasiment plus d'un oeil. Trois ans qu'ils bataillent pour que le flic qui a tiré - ainsi que sa hiérarchie - soit poursuivi en justice (il passera bientôt en correctionnelle), trois ans qu'ils mènent une campagne d'information tous azimuts, conférence de presse, livre, blogs, "pour qu'au moins ça ne recommence plus". Et ça a recommencé. Et ils ont aussitôt pointé les ressemblances : dans les deux cas, il s'agit de très jeunes gens, Pierre avait 17 ans, Geoffrey en a 16. Dans les deux cas, c'etait lors de mouvement sociaux, manif contre la réforme de l'université il y a trois ans, contre la loi sur les retraites aujourd'hui. Dans les deux cas, les gamins ne faisaient pas vraiment dans l'ultraviolence : Pierre manifestait sur les pelouses du rectorat, Geoffrey poussait une poubelle dans la rue devant son lycée (certes ce n'est pas bien mais cela mérite-t-il de se retrouver un mois à l'hôpital avec de multiples fractures, nez, sinus, pommette gauche et oeil en danger ?). Dans les deux cas aussi, les préfets se sont empressés de prétendre que la blessure était légère...
C'est au milieu des années 90 que les services de police et de gendarmerie spécialisés dans les situations extrêmes comme le Raid ou le GIGN ont inauguré le Flash-Ball. En 2002, le ministre de l'Intérieur Sarkozy prône son usage massif : "Quand les policiers en sont équipés, les voyous ne viennent pas les chercher. Dire que la police doit rester républicaine, ce n'est pas la condamner à l'inefficacité" (Le Monde, 31/05/2002). Le Flash-Ball ne tue pas : il mutile à vie, il brise des vies, c'est vachement républicain. Et les flics choisissent bien leurs cibles : ce gros pistolet de super-cow-boy, ils ne le dégainent jamais contre les métallos, pêcheurs ou agriculteurs. Mais contre des jeunes, lycéens, étudiants, squatteurs. En plus de Geoffrey et de Pierre, il y a eu Joachim Gatti, l'an dernier, à Montreuil, Joan, à Toulouse, et ce jeune de 16 ans en 2006 à Clichy-sous-Bois. Combien en faudra-t-il ? Combien d'yeux perdus, de gamins à la vie foudroyée, de larmes, de cris de rage avant que soit interdit l'usage de cette arme ? Saisie entre autres par Dominique Voynet, maire de Montreuil, la Commission nationale de déontologie de la sécurité a pondu, après enquête, un avis, en février dernier, dans lequel elle dénonce "l'utilisation du Flash-Ball dans la cadre d'un rassemblement sur la voie publique" et son "degré de dangerosité totalement disproportionné". Autant pisser contre un commissariat. La preuve : après "l'incident" de jeudi dernier, le préfet de police Michel Gaudin a juste enjoint ses hommes d'employer le Flash-Ball "avec parcimonie et discernement, ce qui est difficile à apprécier lorsqu'on est face à de très jeunes gens".
Faut avoir l'oeil, chef !
Jean-Luc PORQUET, Le Canard Enchaîné, 20/10/2010