" Un collectionneur, mon ami, doit être prêt à tout. "
Une phrase à méditer pour Markus Twiggampeel, dépêché sur le territoire "américain" par le Pipe Smokers Weekly de Birmingham pour rencontrer un homme que le monde entier connaît mais qui a réussi à maintenir le voile de mystère l'auréolant.
Dandy à l'élégante silhouette surmontée d'un chapeau melon, le Collectionneur a arpenté le monde en tous sens et a accumulé des fortunes pour acquérir des objets rares - et donc précieux - dont la particularité est d'avoir tous côtoyé l'Histoire. " Des objets qui ont un vécu. "
Après l'Asie, l'Europe et l'Afrique, l'énigmatique aventurier jette donc son dévolu sur l'Amérique du Nord, dans des territoires qui, en cette fin de XIX°siècle, sont déchirés par les ultimes affrontements entre les Amérindiens et leurs envahisseurs.
Tandis que la tension monte suite aux massacres perpétrés par le Général Custer et ses hommes, les différentes tribus convergent et se rallient pour mettre un terme à l'invasion.
Difficile, dans un tel contexte, de trouver facilement le " calumet qui parle ", objet sacré dont l'existence remonterait au XVI°siècle et qui aurait traversé les âges en changeant maintes fois de mains.
Bien qu'ayant établi son campement dans une mine abandonnée, garantie de tranquillité (" en bon connaisseur de l'âme humaine, je préfère la solitude "), le Collectionneur n'a pu échapper à certaines flèches perdues, tentatives d'arnaques et traquenards tendus par des hors-la-loi tout puissants (jetez un coup d'oeil au récent Shérif Jackson pour vous replonger dans l'ambiance de l'époque).
Autant d'anecdotes qu'il se plaît à rapporter au journaliste que le hasard a mis sur sa route, et dont la seule ambition est de percer les secrets de l'énigmatique voyageur.
" Vous non plus, cher ami, vous n'en saurez pas plus. "
Twiggampeel ne repartira pourtant pas bredouille : le récit du Collectionneur, haut en couleurs et en personnalités, lui fait croiser la route de nombreuses tribus, de nombreux calumets tous plus inintéressants les uns que les autres, jusqu'à ce qu'apparaisse enfin celui dont la forme, la matière, les motifs et l'histoire ne laissent aucun doute.
Le vénérable et puissant objet est entre les mains d'un chef de guerre sioux qui attend une grande bataille à venir sous " le soleil de demain ".
Entre les mains de Crazy Horse, qui contemple la plaine de Little Big Horn.
Une fois encore, le Collectionneur a rendez-vous avec l'Histoire, une fois encore il ne se contentera pas d'en rapporter un objet-souvenir, et une fois encore il ne livrera son récit - et ses secrets - qu'aux lecteurs que nous sommes, et non à ceux du Pipe Workers Weekly.
Un récit magnifié par le trait de Sergio TOPPI, maître de la BD disparu il y a peu (en 2012) et mis à l'honneur en ce dernier mois de l'année par K-BD (souvenez-vous de MOEBIUS évoqué pas plus loin que dans l'article d'avant !).
Entre les grands espaces qu'offre l'Amérique du Nord, et les visages fiers et rugueux des guerriers amérindiens, l'auteur peut laisser libre cours à son trait inimitable et magique qui, sur fond d'aplats noirs ou blancs en lutte permanente, se décompose en une multitude de hachures qui donnent à la matière une densité rarement égalée en bande dessinée.
Les arabesques des roches, écorces, tissus, bijoux, tapissent chaque planche d'une force et d'une élégance à la fois étouffante, aérienne et vibrante : le monde dessiné par TOPPI est une trame parfaite, une toile dont le lecteur, rapidement happé, ne peut s'échapper avant d'avoir refermé la dernière page.
Ce raffinement est appuyé par des mises en page toujours soignées et originales qui confèrent à chaque planche une identité et une unité uniques : l'oeil ne cesse d'aller et venir du plus infime détail (et ils sont nombreux !) aux vastes tableaux que constitue chaque page, sans jamais se perdre.
Brillant héritier des grands graveurs du XIX°siècle, TOPPI manie la ligne avec une telle maîtrise que quelle que soit la distance à la planche que le regard adopte, le résultat est toujours harmonieux, parfaite synthèse entre illustration et narration graphique.
Personnage emblématique de Sergio TOPPI, le Collectionneur est certes un bon moyen d'entrer dans l'oeuvre du maître italien, mais reste malgré tout à mon avis en-deçà de son plus célèbre ouvrage : Sharaz-De, magistrale interprétation des Mille et Une Nuits d'une beauté glacée et d'une perfection graphique à couper le souffler.
Vous l'aurez compris, TOPPI fait partie de ces auteurs incontournables à découvrir absolument. Un auteur méconnu que les éditions Mosquito ont très tôt mis à l'honneur et qui a participé au Festival de BD de Solliès-Ville peu de temps avant sa mort.
A vous de vous laisser à présent emporter par la grâce...
Champimages sublimes, tout simplement (et désolé pour la médiocre qualité des reproductions proposées ci-dessous...).