"Il est 19h30 sur Arte et la pianiste est assise à son Steinway, au milieu de la scène du festival de Verbier. Sous les épais cheveux gris à peine disciplinés, son visage grave est fugacement traversé d'ondes nerveuses. Un index muet sur le clavier lisse une poussière invisible. Elle s'essuie rapidement les mains avec un mouchoir. L'orchestre a entamé le Concerto n°2 de BEETHOVEN, elle connaît à la seconde près le moment d'y entrer. Depuis le temps qu'elle le joue... Voici Marthe ARGERICH en action, mue par le plus naturel des déclics. Son aversion pour le travail quotidien est légendaire (comme l'atteste Olivier BELLAMY dans sa biographie, L'Enfant et les sortilèges). Sous nos yeux pourtant, court un appareil parfaitement rodé : les mains d'ARGERICH. Pas le temps de s'extasier sur leur forme, et sans doute rien d'esthétique en elles, c'est leur mouvement qui fascine, hypnotise.Le son qu'elles produisent devient nouveau, BEETHOVEN gambade avec son interprète. Sa vitesse donne le vertige. Puis un passage lent par contraste éblouit. Elle occupe tant d'espace qu'on n'a pas entendu se taire l'orchestre. On lit maintenant la sidération sur les visages des musiciens. Quand ils reprennent, on sent que c'est le piano d'ARGERICH qui leur met le feu, autant que les bras du chef. Un léger sourire éclaire un instant la pianiste. Elle ressemble à une grand-mère un peu sorcière, à une fée bienveillante, à une fillette boudeuse, elle a tous les âges et aucun. Quand à la fin elle salue, on réalise qu'on n'a pas été le seul à rester coi pendant une demi-heure : la télé non plus ne disait rien. Grâce à la musique, il arrive que l'image se passe de commentaire et c'est bien. Quand les mots s'effacent pour qu'on voie mieux Martha ARGERICH, c'est tout simplement génial."
François GORIN, Télérama.
(Je ne suis pas sùr que le passage filmé que j'ai trouvé soit le bon, mais il me semblait bien correspondre à l'article. Pour la voir, il vous suffit de cliquer sur la photo !)