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Cases dans le vent

Vous n'êtes pas sans savoir que, depuis quelques mois, je rédige des biographies d'auteurs de BD pour des l'encyclopédie en ligne des Editions Larousse.

Afin de vous permettre de retrouver plus rapidement l'ensemble de mes contributions, je vais essayer de les lister ici dans l'ordre de leur parution.

Bonne lecture, et n'hésitez pas à me laisser vos avis !

Champi à tout vent

David B. - Edgar .P. JACOBS - Bob de MOOR - Benoît PEETERS - François SCHUITEN - René GOSCINNY - Astérix - Manu LARCENET - HERMANN - Robert CRUMB - Osamu TEZUKA  - Jean-Pierre GIBRAT -





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15 février 2016 1 15 /02 /février /2016 13:26
L'arabe du futur T1

Encore placés sous le thème de l'enfance, sur k.bd, nous passons de Marzi à Riad. Pas vraiment un autre temps - les deux auteurs sont presque contemporains - mais résolument d'autres moeurs, puisque nous glissons de la Pologne au bassin méditerranéen, L'arabe du futur nous promenant entre la France, la Libye et la Syrie (deux pays qui nous rappellent combien le "y" est voyageur, et qui me permettent de constater qu'une carte géographique reste le meilleur moyen mnémotechnique de se rappeler que le "y" de Libye comme de Syrie se situe dans la direction de la Grèce pour chacun de ses deux pays. CQFD).

C'est donc l'histoire du jeune et blond Riad (plus connu de nos jours sous le complet vocable de Riad SATTOUF) que nous suivons pas à pas, depuis la rencontre de ses parents à Paris du temps de leurs études (au début des années 1970) au retour de la famille en Syrie en 1984.

Papa Sattouf, Abdel-Razak, "élève brillant [qui] avait reçu une bourse pour étudier à la Sorbonne" y fait donc la rencontre de Maman Sattouf, Clémentine, qui "avait eu pitié de lui [et] était allée au rendez-vous à la place de sa copine."

Thésard en histoire contemporaine, Abdel-Razak suit de prêt l'actualité française grâce à la télévision pompidolienne, l'actualité internationale grâce à RMC et les commente toutes deux à voix haute du soir au matin, très concerné par la géopolitique au Proche Orient. "Je changerais tout chez les arabes. [...] Je serais un bon président." Malgré sa haute opinion de lui-même, il décline la proposition d'un poste à Oxford ("Oxford !!! La classe !!!") pour accepter celui dont il avait fait la demande à Tripoli, en Libye.

"Mon père était pour le pan-arabisme. Il était obsédé par l'éducation des Arabes. Il pensait que l'homme arabe devait s'éduquer pour sortir de l'obscurantisme religieux."

Voilà donc les trois Sattouf - car le petit Riad est né entre temps - partis pour s'installer dans la Libye de Kadhafi,Le Guide, qui a profondément modifié la société de son pays.

"Le Guide a aboli la propriété privée. Dans notre état des masses populaires, les maisons sont à tout le monde."

Donc pas de serrure. Juste un loquet à l'intérieur.

"Ta femme n'aura qu'à fermer le loquet dans la journée."

Au temps pour l'émancipation féminine. Mais pas de loquet = pas de chez soi.

Ainsi se dessine le monde autour du petit Riad : repousser les personnes qui poussent la porte quand le loquet n'est pas fermé, écouter son père lire "le petit livre vert" de Kadhafi, et jouer avec ses voisins tous deux fascinés par l'inhabituelle blondeur de sa chevelure.

Le tout dans les tons jaune-orangé d'une enfance libyenne où il avait "beaucoup de mal à faire la différence entre le rêve et la réalité, surtout la nuit."

Il faut dire que la réalité n'était pas toujours tendre, particulièrement au moment des files d'attente pour faire les courses (preuve que, de part et d'autre de la Méditerranée, les années 80 ont parfois eu un air de famille).

Et que cette réalité, mâtinée d'exotisme français, pouvait engendrer des représentations aussi étranges que drôles : "Je ne comprenais pas ce mot. Mais depuis ce jour, quand j'entends "Dieu", je vois la tête de Georges Brassens."

Toutefois, le jeune Riad avait pour principale idole son propre père, un homme "fantastique", capable de lancer à la main une balle de tennis par dessus leur immeuble, de dessiner une Mercedes sans modèle et sans erreur, et de cueillir les "toutes" (les mûres arboricoles) comme personne.

Après la Libye, la famille s'envole vers la France, avec la Syrie pour horizon.

Six années bien mouvementées pour le petit Riad, donc, qui goûte peu à l'école et bénéficie du cocon familial et des jeux d'enfants.

Un cocktail qui se révèle pourtant bien amer lorsqu'il fait la connaissance de ses cousins syriens plus âgés et surtout très bruns : pour eux, la blondeur du petit "Français" est la marque incontestable de son judaïsme.

Les conflits des adultes s'immiscent alors dans la quotidien des enfants...

Succès critique et public dès sa sortie, pour le premier comme le deuxième opus, l'Arabe du futur fait partie de ces chroniques de l'enfance qui conjuguent regard décalé, critique socio-politique indirecte et exotisme.

Le décalage naît du regard à hauteur d'enfant, fasciné par certains adultes, effrayé par d'autres, et parfois bien en peine pour distinguer ce qui est réel et ce qui ne l'est pas.

La critique naît de l'exposé (apparemment) objectif et surtout sans parti-pris (contrairement à Marjane SATRAPI, par exemple) qui est fait sur la vie libyenne puis syrienne, paradis déchus d'une certaine forme de communisme.

Et l'exotisme affleure parce que cette enfance "de l'autre côté de la mer Méditerranée" distille des petites doses de familiarité (petits soldats en plastique sur le tapis et robots géants à la télé) au milieu d'un océan d'incroyable (vétusté des immeubles, des rues, conditions de vie rudimentaire...) qui fait écho à ce que les actualités étalaient sur nos petits écrans français à cette époque.

Graphiquement, Riad SATTOUF use de ce minimalisme efficace que l'on pourrait presque appeler "Ligne de l'Association" et qui sert son propos en toute fausse simplicité.

Le trait est souple, toujours expressif, et ne surcharge jamais l'image.

Les aplats noirs sont rares (une chevelure, un vêtement, un carrelage) rendant l'univers du petit garçon moins agressif que celui de la jeune Marjane ou de la jeune Zeina (ABIRACHED).

Chaque pays dispose de sa monochromie (bleue pour la France, orangée pour la Libye, rose pour la Syrie), rehaussée parfois d'un éclat de rouge ou de vert vif pour souligner un détail ou une intensité (un livre, un jouet, un cri).

La quatrième de couverture est d'ailleurs très graphique, donnant à ces couleurs saturées un poids visuel et symbolique fort.

Témoignage frais et riche se voulant dépouillé de tout parti-pris (c'est en tout cas ce que laisse toujours supposer une narration à hauteur d'enfant), l'Arabe du futur doit peut-être son succès, au-delà de ses qualités intrinsèques (histoire, narration, dessin) à l'écho qu'il nous renvoie de l'actualité des dernières années, forte des "printemps arabes" et des guerres civiles qui continuent de faire la une de nos journaux et de faire trembler le monde bien au-delà des rivages de la Méditerranée.

Loin de toute forme de manichéisme, Riad SATTOUF brosse le portrait de sociétés et de personnalités complexes (à commencer par celle de son père, autant pétri d'envie de réussite sociale que d'idéaux) qui, à défaut de nous rassurer, nous éclaire sur nos proches voisins avec une certaine honnêteté.

A suivre dans le tome 2.

Champimages d'enfant sage.

L'arabe du futur T1
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