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  • : La Tanière du Champi
  • : La Tanière du Champi se veut un lieu où l'on se sent bien pour lire (surtout des BD !), discuter, jouer... Au gré des humeurs, lectures, heures de jeu, j'essaierai de vous faire découvrir tout ce qui se cache sur les étagères poussiéreuses de ce petit mo
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Cases dans le vent

Vous n'êtes pas sans savoir que, depuis quelques mois, je rédige des biographies d'auteurs de BD pour des l'encyclopédie en ligne des Editions Larousse.

Afin de vous permettre de retrouver plus rapidement l'ensemble de mes contributions, je vais essayer de les lister ici dans l'ordre de leur parution.

Bonne lecture, et n'hésitez pas à me laisser vos avis !

Champi à tout vent

David B. - Edgar .P. JACOBS - Bob de MOOR - Benoît PEETERS - François SCHUITEN - René GOSCINNY - Astérix - Manu LARCENET - HERMANN - Robert CRUMB - Osamu TEZUKA  - Jean-Pierre GIBRAT -





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4 juillet 2017 2 04 /07 /juillet /2017 16:02

Voici le compte-rendu de la table ronde animée l'été dernier avec Renaud NATTIEZ et Jean-Marc PONTIER autour de leurs deux ouvrages sur HERGE et Tintin.

Merci à eux pour leur pertinence et leur acuité, pour leur patience et leur motivation.

Bonne lecture !

 

Quels sont vos souvenirs marquants des premières lectures des aventures de Tintin puisque, à vous lire, tout part de la lecture qu’on a pu en faire enfant ?

Renaud NATTIEZ : Le Journal Tintin indiquait qu’il était destiné aux lecteurs de 7 à 77 ans. Mais son lectorat allait bien au-delà et de nombreux enfants le parcouraient, le « lisaient » sans savoir lire. J’avais quatre ans quand l’Île noire m’est tombé entre les mains. Le château, le gorille, m’ont alors extrêmement impressionné.

Je pense que si de nombreuses personnes sont encore réfractaires à cet univers, c’est peut-être parce qu’elles ne l’ont pas découvert du temps de leur enfance.

Jean-Marc PONTIER : je devais avoir cinq ou six ans lorsque j’ai lu Tintin en Amérique, que l’on m’avait offert. Je me souviens encore des premiers mots de l’album : « Nous voici à Chicago », ainsi que des différents mots en anglais que l’on pouvait y trouver.

Les couvertures jouent également un grand rôle, par leur impact, dans la manière et la force avec lesquelles ont replonge en enfance simplement en les voyant.

 

Qu'est-ce qui vous a poussés à réaliser vos démarches et ouvrages alors qu'il en existe déjà tant sur Tintin ?

JMP : j’ai toujours été fasciné par le thème de la mémoire. Pourquoi se souvient-on autant de ses lectures de jeunesse ? Peut-être parce qu’elles sont plus profondément ancrées en nous.

Pourtant, j’ai découvert d’autres œuvres à la même époque, mais aucune ne m’a autant marqué que les aventures de Tintin. Je voulais savoir pourquoi.

Enfin, HERGÉ sollicite constamment les lecteurs tout au long des albums, il en fait ses complices. Ce rapport entre auteur et lecteur a été rarement étudié dans la bande dessinée.

C’est pour toutes ces raisons que je me suis plongé dans l’étude des Aventures de Tintin sous cet angle-là. Un travail qui m’a demandé près de vingt ans !

RN : lorsqu’on regarde les catalogues de la Bibliothèque Nationale de France, on peut constater qu’ HERGÉ est l’auteur au sujet duquel existe le plus de titres déposés, tous supports confondus. Vouloir en écrire un nouveau ne peut donc se faire de manière anodine.

Pour ma part, c’est un sujet que je mûris depuis bien longtemps : comment expliquer le succès de Tintin, un succès qui ne se dément toujours pas aujourd’hui ? Et un succès international, qui plus est, sauf aux Etats-Unis ?

De plus, depuis tout petit je voulais comprendre pourquoi les Aventures de Tintin suscitaient autant la relecture.

Enfin, alors que j’étudiais la philosophie dans les années 1970, j’ai abordé la dialectique de PLATON à travers le découpage que GOLDSMITH a fait de la structure des Dialogues. J’ai souhaité transposer cette méthode à l’oeuvre d’HERGÉ . J’ai ainsi fait émerger une structure assez répétitive, donc rassurante pour les lecteurs. Une structure qu’ HERGÉ met en place à partir de Cigares du pharaon.

 

Vos ouvrages se concentrent presque exclusivement sur une tentative d'expliquer le succès de Tintin, à travers le langage ou à travers la structure. Comment avez-vous choisi cet angle d'étude et qu'avez-vous découvert ?

RN : Les aventures de Tintin cumulent de très nombreuses spécificités :

- une grande lisibilité du trait

- des histoires dans lesquelles des personnages récurrents font des retours réguliers (un peu comme chez BALZAC), personnages qui ont une vie en dehors des albums (HERGÉ vivait ces vies parallèles !), ce qui confère une crédibilité unique à l’oeuvre : HERGÉ a créé tout un monde.

- un héros auquel il est très facile de s’identifier : Tintin a le visage lisse et reste un personnage ordinaire.

- un objectif moral très clair, très boy-scout : la recherche du Bien.

- la multiplicité des niveaux de lecture.

Autant d’éléments qui ont façonné le succès de la série. Il me semblait intéressant d’en aborder un nouveau.

JMP : mon approche est beaucoup moins structuraliste que celle de Renaud. Elle part d’une anecdote : quand Tintin façonne une trompette pour pouvoir communiquer avec un éléphant. Et je me suis rendu compte que cet « éléphant » pouvait faire écho à « l’enfant » avec lequel Tintin communique aussi, tout au long des albums.

L’éléphant est un animal associé à la mémoire : il s’agissait pour moi d’explorer la mémoire lectorielle. Elle intervient par exemple à travers des situations récurrentes et des conséquences différentes. Ainsi, quand survient une mise en danger, la manière de le surmonter est toujours différente.

C’est en quelque sorte, de la part d’HERGÉ, un jeu sur les variations. Ce jeu interpelle le lecteur qui, de son côté, s’interroge sur leurs éventuelles issues.

Cette mémoire lectorielle peut également s’observer à travers les références de bas de page, qui renvoient à d’autres situations, d’autres aventures. Elles sont de moins en moins nombreuses au fil des albums, sans doute car les lecteurs étaient devenus parfaitement familiers de l’univers de Tintin.

RN : la richesse des détails est une autre caractéristique de l’oeuvre d’HERGÉ . On en découvre toujours de nouveaux, malgré les nombreuses relectures. Je n’ai moi-même remarqué que très récemment l’épisode de la confusion entre le stylo et la petite cuillère dans L’Oreille cassée ! HERGÉ était discret dans le détail, ce qui n’empêchait ni leur qualité ni leur quantité.

Un de mes personnages préférés illustre cette discrétion : c’est le Docteur Triboulet, que l’on rencontre dans L’Oreille cassée. Tout est subtil dans ce personnage et dans son rapport avec son secrétaire.

 

Et toi, Jean-Marc, as-tu un personnage préféré dans la série ?

JMP : j’aime beaucoup le Tintin de L’Île Noire, car c’est le parfait anti-héros, qui passe son temps à subir les événements.

J’ai également beaucoup d’affection pour le Professeur Tournesol. Pas celui d’Objectif Lune, qui m’ennuie, mais celui du Trésor de Rackam le Rouge, qui est génial car catastrophique !

Ce sens du détail qu’évoque Renaud fait que Tintin ne peut avoir que des lecteurs attentifs.

RN : le Professeur Tournesol est un personnage multi-cartes.

Séraphin Lampion est lui aussi très intéressant car la force du réalisme qui se dégage de lui évoque forcément quelqu’un de précis aux lecteurs.

JMP : le Verbe est lui-même terrain de reconnaissance. Les injures du capitaine Haddock, par exemple : nous les répétons sans forcément en connaître le sens ! Le mot lui-même est devenu un matériau à part entière. A chaque occurrence, il nous renvoie à l’expérience que l’on a déjà pu en faire.

Le Professeur Tournesol est un personnage fondamental dans le rapport aux mots : il est le lien entre le Verbe et la surdité.

De leur côté, les Dupondt suivent le modèle lié à la gémellité : leur langage procède par la surenchère et la tautologie. Leur langue est comme leurs raisonnements : elle tourne en rond.

Dans les Aventures de Tintin, la ligne et le Verbe ont un impact fort sur le lecteur.

En définitive, dans ce domaine comme dans bien d’autres, Tintin reste le personnage le plus aseptisé.

RN : chez HERGÉ, c’est un peu comme chez MOZART : « tout n’est que variations et répétitions ».

Dans les Aventures de Tintin, tout tourne autour du thème de l’ascension vers le Bien. La structure est à peu près toujours la même : une scène de la vie quotidienne, un fait anodin, un départ en voyage, un dénouement, un épilogue. Ce sont des invariants structurels.

Cela explique peut-être pourquoi HERGÉ n’a pas apprécié l’histoire de Tintin et le Thermozéro, scénarisée par GREG : parce qu’on n’y retrouve pas ces invariants structurels.


Vous évoquez tous les deux et à plusieurs reprises certains rapprochement avec la musique : pouvez-vous nous éclairer là-dessus ?

RN : HERGÉ préférait la peinture à la musique. On le voit d’ailleurs surtout tourner la musique, à travers l’opéra, notamment, en dérision.

Cela explique peut-être pourquoi Milou, au fil des albums, passe de la parole au silence.

JMP : Les Bijoux de la Castafiore est le seul album dans lequel la musique joue un rôle central. Mais elle n’y occupe qu’une fonction purement narrative.

C’est un peu différent lorsque Tintin va écouter les Tsiganes chanter autour du feu : les bulles sont colorées et la scène dégage beaucoup de nostalgie.

En revanche, la structure des albums à quelque chose de musical, par ses variations, ses leitmotivs…

 

Comment s'est passé, se passe et se passera l'après-Tintin / l'après-Hergé ?

 

RN : le fait qu’il n’y ait pas eu de nouvel album depuis quarante ans entretien la force du mythe, contrairement à toutes les séries qui ont eu des suites après la mort de leur créateur.

Pourtant, avec l’Alph’Art, HERGÉ nous a laissé une dernière image forte qui semble clore l’oeuvre : la mort de Tintin et le triomphe du Mal. D’ailleurs, le journal Libération du 5 mai 1983 annonçant le décès d’HERGÉ voit Tintin mourir avec son créateur.

Le débat demeure toujours quant à une éventuelle reprise de la série, mais :

- HERGÉ ne le voulait pas

- il était le seul à connaître la vie de tous les personnages de la série

- il a fait mourir Tintin dans l’Alph’Art.

JMP : les enfants lisent moins, et lisent moins les Aventures de Tintin. Mais ceux qui le lisent le lisent bien. Le Tintin « moderne » a été concurrencé par les mangas.

On reproche souvent à HERGÉ la qualité de la dernière Aventure de Tintin, Tintin et les Picaros. On lui attribue d’ailleurs parfois la désaffection de son œuvre par le public. Or, c’est un album que, pour ma part, j’ai beaucoup aimé, notamment par la charge politique qu’il comporte.

RN : les derniers albums portent tout de même les stigmates d’une certaine lassitude. HERGÉ mettait de plus en plus de temps pour finaliser les histoires, les méchants devenaient de plus en plus ridicules, la ligne claire se brisait… Tintin lui-même était toujours plus passif !

 

Dans un tel contexte, l'universalité du personnage et de la série peut-elle durer encore longtemps ?

RN : je suis sceptique quant à la longévité de la série pour les quarante prochaines années. Au mieux, la série pourrait devenir un classique, comme BRASSENS et ses chansons.

Tintin porte trop la marque du XX°s, en matière de mode, de technologies… Il est donc bien trop daté pour les nouveaux lecteurs auxquels, en définitive, il n’évoque rien.

Son succès pourrait être relancé par une bonne adaptation cinématographique, mais l’histoire nous a montré que ce n’était pas possible. L’idée de Steven SPIELBERG pour Le Secret de la Licorne était bonne mais n’a pas été couronnée de succès.

JMP : l’oeuvre persiste également beaucoup grâce aux produits dérivés. Dans quarante ans, Tintin sera-t-il l’objet d’une certaine culture archéologique ?

N’oublions cependant pas qu’on lit toujours du BALZAC, cent cinquante ans après. Les Aventures de Tintin comportent une vitalité telle qu’elle peut porter un lectorat. Une vitalité nourrie d’une vérité générale et narrative, ainsi que de valeurs et de repères qui vont perdurer.

RN : dans la mesure où Tintin ne suit pas la mode, il ne peut pas se démoder ! Un peu comme BRASSENS, pour reprendre mon parallèle, qui n’était pas un chansonnier de son époque. Tintin ne se réfère à aucune actualité, à aucun personnage historique de « son temps ».

 

Public : Que reste-t-il à dire sur Tintin ?

JMP : l’angle narratologique n’avait presque jamais été abordé. Ceci étant, il est vrai qu’écrire un nouveau livre sur Tintin est toujours une gageure tant il y en a déjà eu. Trop eu. Pour ma part, ma priorité était avant tout dans le plaisir de la réalisation de ce livre.

RN : certains thèmes sont battus et rebattus, concernant Tintin, et suscitent toujours de « nouveaux » débats : le racisme, le sexisme du personnage et de la série. L’exposition à venir au Grand Palais, à Paris, va elle aussi considérablement saturer l’espace médiatique.

Tintin - Les raisons d'un succès - Table ronde du 27 août 2016 à Solliès-Ville
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