Les super-héros trouvent rarement asile par ici - à quelques exceptions près ! - surtout les plus vénérables.
Pourtant, par la magie - que de nombreux créateurs d'outre-Atlantique pourraient, à raison, davantage qualifier de malédiction !! - du quasi-inexistant droit d'auteur sur ces personnages d'un autre âge, il leur arrive parfois de passer entre les mains de génies qui, à partir de pots séculaires, font des soupes explosives épicées de modernité.
Ainsi en est-il de Batman, l'un des plus anciens et des plus récurrents super-héros de la bande dessinée étasunienne. Personnage graphiquement sans limites - ah, le mystère du masque et l'esthétique de la cape ! - et psychologiquement instable et peu manichéen, donc foncièrement intéressant, Batman est passé sous mille plumes, mille crayons, mille pinceaux, pour le pire mais aussi pour le meilleur.
En 1986, Frank MILLER l'avait définitivement changé avec son Dark Knight.
Trois ans plus tard, un des couples les plus détonnants de la bande dessinée anglo-saxone en livrait sa version.
A ma droite, Grant MORRISON, scénariste azimuté de séries comme The Invisible ou The Filth.Textes enlevés, personnages tourmentés, narrations multi-linéaires... Le bonheur du lecteur labyrinthique. Toute ressemblance entre lui et Spider Jerusalem ne serait que fortuite...
A ma gauche, Dave McKEAN, génial chaînon manquant entre la peinture, le dessin, la sculpture, la photographie, la narration graphique... Une sorte de cocktail, à lui tout seul, de tout ce qui pourrait se faire de mieux et de plus inattendu en matière d'arts visuels. Dynamiteur de contes pour enfants avec Neil GAIMAN, auteur de l'incroyable pavé Cages. Un OVNI.
Le tout placé sous l'égide de l'asile d'Arkham - Arkham Asylum, dans la langue du Joker - hommage au tourmenté H.P. LOVECRAFT qui distillait folie et horreurs tentaculaires dans tous les murs de toutes les maisons de cette petite ville de son univers.
Une plongée dans les entrailles d'un institut psychiatrique très particulier, aux méthodes innovantes, à l'histoire troublée, et aux pensionnaires tous moins fréquentables les uns que les autres : Double Face, Gueule d'argile... et bien sûr... le Joker.
Une plongée dans le passé éparpillé d'Amadeus ARKHAM, fondateur de la discutable instituation.
Une plongée au coeur de l'âme de Batman, entre noirceur et tourbillon, passé fragmenté et présent éclaté...
Les démons se succèdent sur la route du sombre justicier, et les pires ne sont pas forcément ceux qui rôdent dans les couloirs de l'asile.
Qui mieux que Grant MORRISON pour raconter la folie sous toutes ses formes ?
Qui mieux que Dave McKEAN pour l'illustrer à la perfection, dans ses moindres détails et ses innombrables brumes ?
Difficile de sortir indemne d'une telle lecture - de telles lectures, d'ailleurs, car une seule n'y suffit pas : richesse des images, des compositions, complexité des textes, multiplicité des références... Le lecteur n'est pas pris pour un imbécile.
Tout au plus est-il pris dans la toile d'une araignée narrative insaisissable, effrayante, et terriblement séduisante.
La folie guette...
Du grand art à l'état pur, remis au goût du jour par l'excellent travail éditiorial de Panini.
Et si on y replongeait ? Une toute dernière fois...