Comme bien souvent, cela
faisait plusieurs mois qu'il me guettait, posé paisiblement sur un coin de la table du salon.
Immobile - ou presque, car déplacé constamment au gré du ménage ou des apéritifs - et surtout patient, attend son heure.
Elle a fini par venir.
A point.
Un peu dérouté au début, j'ai constaté que Trois Ombres, de Cyril PEDROSA, ne correspondait absolument pas à ce à quoi je m'attendais ... On m'avait parlé d'une histoire
sur la séparation, sur la douleur après le deuil... et nous voilà au beau milieu des bois.
Avec près de 300 pages pour développer l'histoire, en même temps... J'ai donc emboîté le pas de Joachim et de ses parents, paysans tranquilles vivant loin des hommes et du monde, dans un
bois sentant bon la liberté.
Jusqu'à ce que trois ombres, un jour, apparaissent à l'horizon...
"Regarde bien, petit, regarde bien, sur la plaine là-bas..." aurait chanté le Grand Jacques.
Sur la plaine, sur les collines, à quelques pas seulement de la porte, ces trois ombres envahissent peu à peu la vie paisible de la famille, la changeant en enfer...
Et lorsque Lise, la mère, se décide à aller voir Mme PIQUE ("accouchements douloureux, démons intérieurs, écoute bienveillante"), ce n'est que pour avoir confirmation de ce
qui les attend...
A défaut de pouvoir affronter ces trois ombres, Louis, le père, décide de fuir. Par-delà le fleuve, le plus loin possible, vers la lumière... son fils à ses côtés.
La suite est à découvrir sous les traits polymorphes d'un Cyril PEDROSA qui, depuis Ring Circus, a fait bien du chemin : lignes nettes ou charbonneuses, dessins fouillés ou
dépouillés, le noir et blanc explore toutes les directions et explose par sa justesse et sa simpicité.
Les 300 pages ne sont pas de trop pour voyager plus loin que le fleuve, au plus profond de chacun.
Cyril PEDROSA prend le temps d'aller au plus près de ses personnages, et d'enrichir son récit de rencontres improbables et de personnages singuliers.
Voilà ce qui peut arriver de mieux à la BD quand on lui laisse la place de respirer... et qu'elle est servie par un talent aussi grand.
On en redemande.
Même si Trois Ombres nouent les tripes...
Champi dans la nuit