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  • : La Tanière du Champi
  • : La Tanière du Champi se veut un lieu où l'on se sent bien pour lire (surtout des BD !), discuter, jouer... Au gré des humeurs, lectures, heures de jeu, j'essaierai de vous faire découvrir tout ce qui se cache sur les étagères poussiéreuses de ce petit mo
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Cases dans le vent

Vous n'êtes pas sans savoir que, depuis quelques mois, je rédige des biographies d'auteurs de BD pour des l'encyclopédie en ligne des Editions Larousse.

Afin de vous permettre de retrouver plus rapidement l'ensemble de mes contributions, je vais essayer de les lister ici dans l'ordre de leur parution.

Bonne lecture, et n'hésitez pas à me laisser vos avis !

Champi à tout vent

David B. - Edgar .P. JACOBS - Bob de MOOR - Benoît PEETERS - François SCHUITEN - René GOSCINNY - Astérix - Manu LARCENET - HERMANN - Robert CRUMB - Osamu TEZUKA  - Jean-Pierre GIBRAT -





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12 octobre 2012 5 12 /10 /octobre /2012 09:46

Kililana song - Couverture Après  Ida le mois de l'Afrique, à venir sur K-BD (pour une fois, je prends un peu d'avance !), suit son cours.

 

Accostons cette-fois sur la côte orientale du noir continent, au Kenya, à Kililana. Le soleil y règne en maître en cette fin novembre. Sa lumière, blanche, aveuglante, brûle la terre, les murs, la mer et ses reflets. Sa chaleur écrase les hommes aussi sûrement que le bâton du mwalimu écrase le crâne de l'élève dissipé.

Ce qui explique la course effrénée de Naïm dans les rues, pour échapper à son "grand frère" et au sort qui l'attend à la madrass.

 

Dur est le bâton, dure est l'éducation, dure est la vie à Kililana ; malgré tout, il faut essayer d'avoir le ventre plein une fois par jour, de rapporter un peu d'argent ou de nourriture à la maison, et si possible de ne pas sombrer dans des affaires trop louches. Trafiquer un peu de qat pour un vieillard passe encore. Se faire arrêter avec à son bord des caisses de haschisch, transporter des colis douteux, ou s'investir dans des projets immobiliers peut déjà être plus dangereux.

 

"Les histoires chez nous ce n'est pas ça qui manque, c'est même une spécialité locale, si on peut dire." Depuis les toits où il traîne souvent - surtout pour échapper à son frère qui tient coûte que coûte à le ramener sur le droit chemin (de la religion) et peut-être ainsi gagner quelques "points pour aller au paradis" - Naïm voit beaucoup de choses, et suit les destins de bon nombre de ses amis : des plus jeunes condamnés à décortiquer des kilos de crevettes pour quelques shiliings, aux plus belles dont les corps affolent les Occidentaux de passage ou plus ou moins établis.

 

"Chez nous, il y a ceux qui pêchent le poisson et d'autres qui pêchent le touriste".

 

Mais il n'y a pas que des touristes qui viennent échouer sur le rivage - soulevant autant d'intérêt que d'hostilité, les règles religieuses devant composer avec les contraintes économiques. Il y a des contrebandiers, au verbe fleuri et au visage marqué, ou des promoteurs, qui n'ont que faire du respect des légendes locales...

 

Car l'Afrique des mythes n'est jamais loin : des histoires de djinns racontées pour effrayer les plus jeunes, aux récits antiques plongeant dans les racines des croyances locales, le surnaturel est partout.

Et ce ne sont ni le vieil homme vivant à l'écart, ni le grand arbre sur lequel il veille, qui diront le contraire.

Que l'on vienne même à risquer de les perdre, et la nature elle-même semble se déchaîner. Et si tout cela était vrai...

 

Récits croisés composés à partir de "rencontres, histoires glanées et choses vues", Kililana song est une chronique vivante et juste de la vie telle que nous pouvons l'imaginer aujourd'hui dans bon nombre de pays d'Afrique noire. Fin observateur, Benjamin FLAO semble avoir longuement promené sa plume et ses pinceaux au gré des ruelles, des rivages et des forêts érythréennes et kenyanes pour brosser avec une telle précision les portraits qu'il nous propose.

Certes, les traits sont parfois un peu caricaturaux, mais laissent à penser que la situation dans ces pays l'est aussi : la misère locale, la corruption, et les abus permanents des colons de tous bords (Européens ou Indiens). La débrouille pour survie, la religion musulmane comme refuge...

Partageant la narration entre le jeune Naïm et le vieux gardien de l'arbre, l'auteur offre un regard frais mais désabusé et un point de vue plus contemplatif et mystique.

 

Le récit est servi par un dessin efficace aux visages souvent très expressifs, et surtout par l'aquarelle qui restitue à merveille la force et l'intensité des espaces et des lumières : le ciel et la mer sont à l'honneur, le jour éclatant et la nuit glacée nimbent les scènes d'ambiances très fortes.

De grandes illustrations en pleine ou double page scandent le récit, offrant des respirations et de superbes scènes à observer en détails, de l'architecture des cours intérieures aux innombrables bateaux à quai.

 

Le rythme rapide des deux premiers tiers du récit s'apaise, se fige presque, lorsque Naïm, emporté dans la nuit, glisse lentement dans le monde de l'étrange... vers une fin qui nous laisse sur la nôtre (ah ah), et nous donne envie de lire très vite le deuxième tome qui devrait clore l'aventure.

 

Au final, Kililana Song, dont les images pourraient faire penser à un simple carnet de voyage, est une plongée dans cette Afrique que l'on devine à travers reportages et clichés et qui, malgré quelques stéréotypes, se révèle être un monde complexe et malmené où la vie des autochtones n'est jamais facile et où croyances et culture sont souvent mises à mal. En choisissant un enfant comme personnage principal, Benjamin FLAO a toutefois permis à son récit de ne pas trop verser dans le désespoir.

Espérons que la suite sera à la hauteur de cette belle entrée en matière, et saura nous régaler d'aussi belles aquarelles et d'aussi beaux portraits que ceux brossés dans ce premier opus.

 

Champimages qui voyagent.

 

Kililana song - Extrait 0

 

Kililana song - Extrait 1

 

Kililana song - Extrait 2

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9 octobre 2012 2 09 /10 /octobre /2012 08:04

Ida T1 - CouvertureComment peut-on passer, en quelques mois, du confort douillet d'un épais lit molletonné au fin fond du canton de Bâle, en Suisse, à l'inconfort sauvage d'un épais baobab rugueux au fin fond du Sénégal ?

 

"A quoi tient le destin ? Souvent à pas grand chose."

 

A la lanière d'une crinoline, dans le second cas.

A un voyage au bord de la mer, dans le premier.

 

Ida, fille de très bonne famille suisse, véritable santé fragile ou totale hypocondriaque, se voit contrainte, prescription médicale à l'appui, d'aller passer quelques temps en France, au bord de la mer, à Marseille.

Contre toute attente, et malgré une population locale étrange ("Les Français sont si bizarres. Ils sentent fortement l'ail et sont un peu voleurs, mais je les trouve très distrayants."), le pays littoral éveille les sens et l'intérêt de la voyageuse. Si elle ne perd rien de son irrascible caractère, elle se remet sur pieds, et décide de franchir la Méditerranée. Lumière, grands espaces, odeurs, ont réveillé de lointains souvenirs gravés en elle par l'Exposition Universelle de 1867, "l'unique voyage que j'ai fait avant celui-ci".

 

Entre rêves d'enfant et goût pour l'aventure, la jeune femme, curieuse et lettrée, décide de s'attaquer à la découverte du continent africain. Après une escale à Tanger - où la rejoint une compagne de voyage imprévue - cap sur Saint Louis du Sénégal, point d'entrée pour l'Afrique sauvage et profonde, parfaite pour satisfaire le soudain appétit d'Ida et lui permettre de rédiger une sorte de guide de voyage.

 

Peut-on toutefois s'improviser aventurière lorsqu'on n'a presque jamais quitté sa chambre et, plus que l'Europe, la Suisse ? La volonté et un caractère persévérant (ou de cochon, au choix !), sont-ils suffisants pour faire face aux réels dangers de la brousse et de la jungle, aux craintes légitimes des porteurs, et aux clichés colonialistes véhiculés par les administrateurs européens croisés sur la route ? Sans compter que, comme son nom l'indique, Ida est une femme, dont la place, en cette deuxième moitié de XIX°siècle, n'est certainement pas sur les routes.

 

 Chloé CRUCHAUDET ne se contente donc pas de simplement mettre en scène une aventure humaine au coeur de l'Afrique : elle mélange contexte social, politique et "exotique" pour donner à son récit richesse et profondeur.

 

La jungle de papier qu'Ida connaît par ses études est bel et bien dangereuse : animaux de toutes tailles, marais, flore... sont autant d'obstacles au voyage, surtout en robe longue et bottines.

 

Guides et porteurs, traités en sous-hommes, ne sont pas tant des fainéants, comme les décrivent les colons, que des individus au fait des us et coutumes locaux, enclins à la prudence plus qu'à peur.

 

Quant aux colons, fidèles à eux-mêmes, ils se posent et s'imposent en "race supérieure", alors qu'ils ne font que vivre les hauts et les bas de leurs complexes sociaux.

"Vous voyez le petit homme, là-bas ? C'est mon mari. Regardez-le faire son malin... Avant c'était un insignifiant gratte-papier à Maubeuge. A Thiès, c'est un dieu."

Outre leur complexe "civilisationnel", ces colons véhiculent les clichés sexistes de leur temps... Clichés que l'auteure met à mal à travers le portrait d'Ida et de son amie Fortunée qui, pétries d'autant de qualités que de défauts, se posent en héroïnes fières de leur indépendance et de leurs choix.

 

Saupoudrez le tout d'humour (Ida, qui par nature prend tout de haut, se retrouve prise de haut par la nature) et de poésie ("Quelques bouts de verre et de la peinture spéciale..."), ajoutez-y quelques rencontres d'exception (avec notamment, en point de mire, la mythique expédition de Pierre Savorgnan de Brazza) et vous aurez un aperçu de tous les éléments que Chloé CRUCHAUDET a su marier pour composer son récit.

 

Le trait, tantôt détailé, tantôt libéré, soutenu par une superbe mise en couleur à l'aquarelle (le fond des cases est d'ailleurs rythmé par les fines stries de l'épais papier spécialement utilisé !), donne à Ida la vie et l'aspect "carnet de voyage" adéquats.

Les personnages, caricaturaux juste comme il faut, animent un théâtre social du meilleur effet, et les déformations graphiques accompagnant légendes, rêves et hallucinations créent une superbe et efficace dynamique.

 

En prenant le contre-pied de bons nombres de clichés, et en faisant de son héroïne une casse-pied attachante, l'auteure réussit le double exploit de nous présenter, sans angélisme ni parti-pris, le choc de deux mondes à l'époque des grandes aventures africaines, tout en jonglant avec le rêve et l'humour.

 

Une série belle et intelligente, retenue par notre collectif  K-BD pour son thème "Afrique et BD" à venir en novembre prochain.

Belle occasion de voyager par papier interposé.

 

Champimages haut en couleur.

 

Ida T1 - Extrait 1

 

Ida T1 - Extrait 2

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28 septembre 2012 5 28 /09 /septembre /2012 23:36

Lapin et TortuePrenez les deux héros de l'une des fables les plus célèbres de notre bon LA FONTAINE.

Changez la vanité de l'un en candeur, et la tenacité de l'autre en gros sourcils, et vous obtiendrez  Lapin et Tortue, première BD publiée de mon ami IBI, grâce à l'éditeur Amilova, qui a su lui faire confiance, mais surtout grâce aux internautes qui ont voté pour sa publication papier.

 

Tantôt drôles, touchantes, ou complètement déjantées, les aventures des deux compères durent le temps d'une seule planche ou de plusieurs pages, suivant les envies.

Les références sont nombreuses, appuyées par les parodies d'affiches de films qui ponctuent l'ensemble de l'ouvrage, et les deux héros se métamorphosent au gré des délires et des histoires (les gros sourcils ne sont jamais en reste).

 

Quelques petites maladresses, encore, parfois, mais un premier album mérite toute notre indulgence, surtout quand il réserve de bons moments.

 

A vous de juger en allant voir "sur place", et en soutenant le jeune auteur, qui est parti pour continuer de faire vivre ce duo décalé.

 

Champimages qui font écho.

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23 septembre 2012 7 23 /09 /septembre /2012 18:57

Le grand pouvoir du Chninkel - CouvertureCela faisait plusieurs mois que le thème était dans l'air, sur  K-BD : Dieu et la BD, Dieu et la BD... Ben oui, pourquoi pas ? Après tout, Dieu est un thème comme un autre, non ? N'en déplaise à la brûlante actualité, mais c'est une autre histoire...

 

Comme toujours, toute l'équipe de K-BD s'est alors virtuellement réunie pour choisir les titres adéquats : chacun y va de sa liste, de ses préférences, nous essayons de respecter quelques équilibres géographiques (même si Dieu est partout, je sais, je sais...), et hop, quatre titres finissent sur le podium (qui comprend une marche par dimanche du mois, d'où les quelques podiums à cinq marches, parfois).

 

Si Dieu en personne, de Marc-Antoine MATHIEU, s'est imposé en quelques secondes, il n'a pas fallu plus longtemps pour que Le grand pouvoir du Chninkel apparaisse comme le deuxième titre franco-belge de la sélection. Une nouvelle occasion de se replonger dans les classiques, comme souvent avec K-BD.

 

Abordons la (première de) couverture pour entrer dans l'ouvrage...

Sur fond de ciel de sang et d'apocalypse (la guerre ravage Daar depuis des siècles, et la fin du monde est proche), au coeur d'une multitude grouillante et tendue, apparaît un vaste monolithe noir, flottant, écrasant, au-dessus des êtres. U'n, le Maître créateur des mondes, a décidé de revenir sur une de ses nombreuses créations pour exprimer sa colère : "J'en ai assez de cette insignifiante poussière d'univers agitée sans répit de sa folie guerrière."

Son interlocuteur est l'insignifiant J'on, petit Chninkel miraculeusement rescapé de l'une des innombrables batailles que se livrent les Trois Immortels depuis la nuit des temps.

 

Le message du tout puissant est simple : J'on doit ramener la paix sur Daar en peu de temps ("cinq croisées de soleil, pas une de plus") sinon une "apocalypse de feu" s'abattra sur le monde et ses habitants.

 

Mais comment un si petit être peut-il s'opposer à la puissance et à l'Histoire en marche depuis si longtemps ? U'n, magnanime, lui confère alors "le Grand Pouvoir".

Charge au petit Chninkel d'en faire bon usage...

 

Voilà donc le jeune "Choisi" contraint de renoncer à sa liberté fraîchement gagnée et à la vie paisible qui pourrait en découler pour se lancer sur les routes.

Il faut bien admettre que le destin ne lui laisse pas grand répit ni grand choix : tantôt traqué, tantôt poussé par ceux qui, comme la belle Gwel, croient en lui, J'on arpente Daar et son Histoire pour comprendre ce qui lui est véritablement arrivé et ce qu'il doit faire.

Sa route croise de futurs fidèles, enthousiasmés par l'espoir qu'il porte, mais aussi des sceptiques, des méfiants, et bon nombre d'adversaires. Il ne fait pas bon bousculer l'ordre établi, et encore moins se prétendre porte-parole d'une puissance supérieure.

 

Les Trois Immortels, notamment, finissent par prendre au sérieux la menace que le petit esclave semble constituer : Barr Find main noire, Jargoth le parfumé et Zembria la cyclope seront de puissants obstacles.

 

La vacillante foi du Chninkel suffira-t-elle a lui permettre de surmonter tant de dangers, de convaincre les siens, de faire fi de se propres doutes, et surtout de satisfaire U'n le colérique ?

 

Fable morale parfois un peu trop appuyée, et passionnante réflexion sur le destin, le libre-arbitre, et les forces à l'oeuvre dans le monde, le grand pouvoir du Chninkel fait partie des oeuvres de référence dans l'histoire de la BD franco-belge.

Issu des denses et riches pages de feu (A Suivre), incroyable source de romans graphiques d'une extraordinaire qualité dans les années 80 (Silence, Ici-Même...), le grand pouvoir du Chninkel est la preuve que Jean Van HAMME fait partie des très grands scénaristes de ces dernières décennies. Bien sûr, on pourrait lui reprocher, parfois, certaines facilités et certaines redondances. Bien sûr, on pourrait considérer que faire traîner certaines séries en longueur n'est pas le meilleur service à rendre aux histoires, aux personnages et aux lecteurs. Il faut malgré tout lui reconnaître un grand talent de conteur, et une grande capacité à mêler les influences pour en tirer une oeuvre originale et forte (certes, certaines influences du grand pouvoir... sont un peu évidentes, du sombre monolithe au Livre originel, mais reconnaissons-leur force et universalité).

Son héros, pétri de doutes et de faiblesses (ah, la chair, toujours la chair !), est capable de grandes envolées remarquables, et se surprend autant qu'il se surpasse.

Il évolue dans un monde très dense qui, s'il n'échappe pas à certains travers du genre (noms des lieux, des personnages, des créatures, qui participent de l'imagerie "médiévale-fantastique" ) mêle magie, fantastique, technologie et philosophie avec aisance et une certaine jubilation : Van HAMME connaît ses classiques et en joue avec plaisir.

 

A ses côtés oeuvre Grzegorz ROSINSKI, compagnon de longue date (ils co-signent Thorgal depuis huit ans quand paraît le grand pouvoir...) qui peut, au fil des 134 planches, donner libre cours à son immense talent graphique : dans un noir et blanc impeccable (je ne saurais que trop vous déconseiller la version en couleurs parue dans les années 2000, victime comme bien d'autres d'un massacre à la palette en règle), il campe avec force et caractère décors et personnages.

Si certaines scènes frôlent l'exagération (surtout quand les corps de femmes se dévoilent), la plupart sont des leçons de composition et de dessin.

De plus, ROSINSKI sait comme personne mêler des éléments divers (nature, humanité, technologie, surnaturel) qui restent pourtant crédibles et cohérents.

Grand metteur en scène, il sait aussi parfaitement "diriger" ses personnages et leur donner une large et riche gamme d'expressions (même si la larme leur perle parfois un peu trop à l'oeil).

 

Qualité du dessin, richesse du scénario, le grand pouvoir du Chninkel offre une belle relecture de bon nombre de mythes fondateurs en puisant dans le monothéisme, le panthéisme, et les théories du multivers.

Mais quelles que soient les forces en présence, c'est bien la force et la volonté des individus qui sont à l'honneur, indispensables pour survivre dans un monde de guerre, de punition, de colère, d'arrogance et d'égoïsme.

 

Malgré ses vingt-quatre printemps, ce livre reste d'une grande actualité, et mérite qu'on s'y replonge régulièrement, à la fois pour en apprécier l'indémodable qualité, mais aussi pour faire le point sur la place de "l'homme" dans l'univers.

 

Champimages au grand pouvoir.

 

Le grand pouvoir du Chninkel - Extrait 2

 

Le grand pouvoir du Chninkel - Extrait 1

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13 septembre 2012 4 13 /09 /septembre /2012 19:25

Lucille - CouvertureA la lecture de ce titre, les nostalgiques des années 80 et de la 5ème Chaîne pourraient se mettre à fredonner "embrasse-moi, on a passé l'âge..."

 

Et quelque part, ils auraient un peu raison.

Mais ils auraient surtout tort.

 

Car s'il est bel et bien question de baisers dans Lucille, son histoire n'a ni la mièvrerie ni la légèreté de l'anime qui a malheureusement bercé une partie de ma jeunesse...  Ludovic DEBEURME - dont on a pu voir certains originaux à l'exposition Hey ! de la Halle Saint-Pierre, par exemple, ce qui en dit long sur son univers - n'est pas coutumier des ambiances trop bruyantes et joyeuses. Loin de moi l'idée toutefois de le lui reprocher...

 

Lucille Flavinsky vit seule avec sa mère et une poupée trop maigre enfermée dans un vieux coffre à jouets, quelque part au milieu de la forêt. Lycéenne mal dans sa peau et anorexique, elle se cache, entre autres, derrière une grosse paire de lunettes à larges montures, qu'elle ne retire que pour les éprouvants repas avec sa mère et les terribles face-à-face avec elle-même.

 

Pendant ce temps, pas très loin de là, mais au sommet d'une falaise, face aux flots impitoyables, Arthur parle avec le diable, compte ses pas, et essuie les insultes de son père ivre mort qu'il doit ramener du bistrot. La mer n'est pas tendre avec les marins, elle fait d'eux des pères un peu trop rudes, rugueux, maltraités par les vagues.

 

Deux écorchés que la vie, jamais tendre entre les traits de DEBEURME, va réunir, pour le meilleur et le reste. La fille des bois est farouche, le fils de l'eau tient peu en place, mais l'étouffant quotidien leur donne les forces nécessaires pour essayer de rompre avec.

 

"Peut-on être plus fragile ?"

 

Tout est dit.

Ne reste plus qu'à chercher à se sauver, dans tous les sens du terme. En espérant que l'horizon ne se contente pas d'engloutir les marins.

 

Feuilleter Lucille, feuilleter du DEBEURME, c'est avant tout goûter à la liberté de l'absence de cases : malgré la petitesse des pages, l'infini s'invite partout, porté par le blanc omniprésent, glissé entre chaque ligne.

Ensuite vient le face-à-face inéluctable avec tous les personnages, car l'auteur décline les portraits, les visages, les gros plans, sous toutes les coutures, à répétition, donnant à chaque protagoniste une extraordinaire présence, même si l'exacte ressemblance n'est pas toujours au rendez-vous.

Enfin suinte l'étrange (moins présent ici que dans Renée, deuxième opus de cette "série"), qu'il s'agisse d'hallucinations, de métaphores ou de souvenirs... Les corps se déforment, se métamorphosent, l'animal en l'homme se fait jour.

 

Graphiquement, DEBEURME sait passer du détail à la silhouette avec efficacité, en fonction des plans et des ambiances : un homme sur la colline peut se fondre dans le vent tandis qu'un croissant sur un lit peut se faire de marbre.

Son noir et (surtout) blanc, presque cliniques parfois, peuvent étouffer autant qu'ils font respirer la page. Ils souffrent à l'unisson des personnages qui ne connaissent aucun repos : le passé les a broyés, le présent n'est pas beaucoup plus tendre, et les répits sont rares, voire trompeurs.

 

Peu d'espoir entre les pages de Lucille, mais les personnages sont si forts et si bien servis par le trait et la mise en page qu'il est difficile de s'en détacher.

Ne vous reste plus, alors, qu'à vous plonger dans Renée, pourquoi pas en écoutant Françoise, de Charles BERBERIAN, album musical, écrit et dessiné, dans lequel vous pourrez entendre Ludovic DEBEURME jouer de la musique. Ainsi la boucle est bouclée.

 

Champimages qui dansent sur la page avant de tomber.

 

Lucille - Extrait 2

 

Lucille - Extrait 1

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10 septembre 2012 1 10 /09 /septembre /2012 19:49

Les bêtises de Xinophixerox - Couverture Tony SANDOVAL fait partie de ces auteurs que j'ai eu la chance de découvrir et de rencontrer grâce au Festival BD de Solliès-Ville.

Visiteur régulier du festival depuis quelques années, il m'a fait le plaisir de devenir un de ces amis voyageurs qu'on croise presque régulièrement et qui nous ramène, à chaque retour, des nouvelles de son riche univers intérieur.

 

S'il a déjà traîné ses pinceaux de son Mexique natal à l'Allemagne en passant par l'Espagne ou la France, c'est incontestablement dans les mondes cauchemardesques qu'il trempe sa plume, quelque part entre hard rock et mythologie lovecraftienne.

 

Les bêtises de Xinophixerox s'incrit dans la droite ligne de son oeuvre teintée d'étrange et de nostalgie un peu amère. Mais si ses livres précédents oscillaient entre poésie décalée et fantastique dérangeant, il ouvre ici toutes grandes les vannes de l'horreur presque grandiloquente.

 

"Xinophixeros prenait paisiblement une bain de fumée en pensant à ses projets démoniaques et dégoûtants."

 

Espèce de petite baleine noirâtre pourvue d'ailes de chauve-souris rouges, Xinophixerox est une des innombrables et inattendues incarnations du démon. Fidèle à la tradition, il a passé un pacte avec une humaine qui, avec le recul, s'en serait bien passé.

Elle tente donc par tous les moyens de s'en débarrasser... Mais c'est sans compter la fourberie et la ténacité de l'obscure créature qui va déployer tous les moyens pour plonger dans l'horreur un petit coin de campagne...

 

Les corps se corrompent, l'espace et le temps se tordent, et dans les ombres jusqu'alors inaccessibles s'ouvrent des portes vers des ailleurs infernaux.

Mais au jeu de la guerre des mondes, il y a plus d'un joueur...

 

Tony SANDOVAL sait puiser dans les figures récurrentes de l'horreur et du fantastique pour peupler son récit de créatures et de décors qui tiennent autant de la littérature néo-gothique que d'une certaine peinture médiévale.

De sa palette sombre et délavée, il met en scène plus que jamais l'horreur tapie au seuil de nos âmes et de notre monde, en un cabinet de curiosités aussi familier qu'inquiétant (de même que le Xinophixerox ressemble à un cétacé, des méduses, calmars et cervidés géants prêtent leurs traits à sa galerie des horreurs) - les éditions Paquet sortent d'ailleurs cet ouvrage dans la collection "Calamar". Ca ne s'invente pas !!

Les traits sont rarement droits, le moindre élément est organique, et même les visages les plus doux cachent les pires tortures.

 

Si vous aviez aimé Le cadavre et le sofa ou Nocturno, ce titre vous déroutera peut-être.

Mais si vous vous étiez plongés avec plaisir dans son Carnet de croquis, vous avez déjà eu un aperçu des méfaits de Xinophérox, et savez donc davantage à quoi vous en tenir.

 

Crépusculaire et tentaculaire, l'univers de Tony SANDOVAL, digne héritier de la Petite boutique des horreurs, continue de se développer et de se déployer au son de la musique un peu triste de son dessin.

Doomboy a atterri sur mes étagères il y a peu.

Vivement !

 

Champimages qui rampent et qui suintent.

 

Les bêtises de Xinophixerox - Extrait 2

 

Les bêtises de Xinophixerox - Extrait 1

 


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4 septembre 2012 2 04 /09 /septembre /2012 17:20

Les Enfants Fichus - Couverture(Bon, encore un livre inclassable, mais je ne vais pas épiloguer de nouveau, n'est-ce pas... Donc tant que je ne créerai pas une nouvelle rubrique de type "des mots et des images" ou "livres inc(l)assables", je rangerai ces olni dans la bien chargée rubrique "BD", et puis voilà !!)

 

Non, non, je ne connaissais pas  Edward GOREY avant qu'on m'offre ce livre (donc, de nouveau, merci pour le cadeau !!).

Un trou de plus à ajouter à mon gruyère culturel (enfin, à mon emmental culturel, si j'en crois les puristes fromagers !), enfin, un trou plus ou moins bouché à présent.

 

Donc Edward GOREY - qui n'a pas hésité, à certaines époques, à signer Edward PIG, par exemple, le bougre ! - est né en 1925 et est mort en 2000 "sur son sofa" (je cite). Il a plus ou moins passé sa vie à écrire et dessiner en se nourrissant de tout ce qui passait à sa portée, de Louis FEUILLADE à Buffy contre les vampires en passant par le New York City Ballet ou Fantômas.

 

Tim BURTON, avec sa Triste Fin du petit enfant huître (entre autres) fait partie de ses nombreux héritiers plus ou moins directs, maltraitant ses petits héros avec une plume généreuse en hachures et en vers sordides.

On pourrait placer Guillaume BIANCO et son désormais célèbre Billy Brouillard dans la famille des héritiers deuxième génération.

 

Bon, et les Gashlycrumb Tinies, dans tout ça ?

Et bien, ils sont venus, ils sont tous là, dès la couverture, de Amy à Zillah, tristes, blafards, presque tous bien peignés, vêtus de leurs robes plissées et jolis complets ou, parfois, de leurs haillons. L'entre-deux siècles ne traînait pas qu'avec la haute.

 

Appréciez le grand et sombre porte-parapluie, le seul qui sourit, foulard au vent mauvais : il a laissé venir à lui les petits enfants gris qui, par étourderie, malheureux hasard ou profond ennui, se sont enfoncés dans la nuit.

Car au pays d'Edward GOREY, tout est fichu dès la première seconde, puisque tout est danger : un tapis, une porte, une pêche.

La vie est dure, mais la mort se marre, pour compenser.

 

"J'ai tué beaucoup d'enfants dans mes livres", disait-il.

Certains de se contemporains le lui reprochèrent (The Gashlycrumb Tinies sortit en 1963). Charge à nous de nous montrer un peu plus intelligents et un peu plus subtils, surtout en ce jour de rentrée des classes, où le thème des enfants est servi à toutes les sauces dans les médias.

Avec GOREY, ne nous reste plus qu'à les déguster !!

 

Champimages qui riment et qui grincent.

 

Les Enfants Fichus - Extrait 2

 

Les Enfants Fichus - Extrait 1

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2 septembre 2012 7 02 /09 /septembre /2012 17:28

Sabine - Couverture"Ce voyage se raconte à haute voix en prenant l'accent d'un ailleurs inconnu".

 

En peu de pages et peu de mots la note est donnée : Sabine est placée sous le signe du voyage et de l'exotisme.

 

Au regard de la préface, toutefois, l'ailleurs a un petit air d'hémisphère sud, quand même :


"J'habite une blessure sacrée

J'habite des ancêtres imaginaires

J'habite un vouloir obscur

J'habite un long silence

J'habite une soif irrémédiable

J'habite un voyage de mille ans

J'habite une guerre de trois cents ans [...]"

Aimé CESAIRE

 

Nous voilà donc prévenus : l'ailleurs nous attend un peu partout, surtout au détour d'une page, et il a la voix et la saveur de ce que l'on ne rencontre qu'un peu plus loin.

 

A vous donc d'imaginer la prononciation correcte du nom "Moabi", le petit village où vit Anys "à la langue fatiguée", car depuis que son chien est mort, il a arrêté de parler.

Heureusement que Sacha, "la bouche pleine de mensonges", entend tout ce que pense Anys : ça facilite les échanges !

Le trio ne saurait être complet sans Blanca, la jolie orpheline à l'oeil gauche surdimensionné et à la longue frange noire.

 

"Blanca rêve de devenir une sirène. Ma grand-mère lui a dit qu'il lui suffirait de rester sous la pluie... Sasha et moi, on n'ose pas lui dire que ce n'est pas possible."

 

Et pourtant, elle en sait, des choses, la grand-mère d'Anys.

 

Qu'importe.

Les trois sont inséparables, parlent de la pluie (qui fait les sirènes), du beau temps (qui fait pousser les baobabs), de la paix, de l'amour, tout ça...

 

Survient alors l'impensable mais inévitable : Grand-Mère l'Autre, la plus âgée de tout le village, la plus sage, la plus débordante d'histoires, meurt un beau matin. Ou peut-être était-ce hier (sic).

Cérémonies, recueillement, et tant de questions pour Anys et ses deux amis...

 

Voulant savoir où pouvait bien être passée l'âme de Grand-Mère l'Autre, ils décidèrent de remonter le cours de son histoire et du fleuve.

De se rendre à Sabine, ville mystère par-delà la forêt, où personne n'est plus allé depuis bien longtemps.

 

La route est longue, les rencontres nombreuses, et chaque buisson, chaque arbre, chaque voyage est une histoire à lui tout seul.

Parfait pour que les trois pélerins de s'ennuient pas.

Parfait surtout pour les aider peu à peu à percer les secrets de Grand-Mère l'Autre, ou en tout cas une partie des secrets de l'Histoire. Des histoires.

 

Entre arbres démesurés aux branches tourmentées et poissons flottant entre deux airs, Aniy, Sasha et Blanca vont traverser les mondes d'ici et d'ailleurs, quelque part entre les contes.

 

Maya MIHINDOU nous avait prévenu, et elle a bien tenu promesse : Sabine nous emmène au pays des histoires à raconter plus qu'à lire, dans cette Afrique intemporelle où les légendes marchent au côté des voyageurs.

En lançant ses héros sur les routes tracées par les griots, elle nous fait découvrir la richesse de ces contes nés au pied des arbres.

 

Pour servir au mieux une telle liberté de ton, elle fait appel à une large palette graphique : du noir et blanc, de la couleur, de petites cases juxtaposées, de grandes doubles pages, et quelques photos pour terminer.

A la fois conte illustré, poème, théâtre, bande dessinée, Sabine est d'une joyeuse inclassabilité (décidément, c'est de saison !).

On croise parfois certains travers graphiques (l'omniprésence des yeux, tout un symbole ! , ou la tendance de la moindre courbe à se développer encore et encore et s'enrouler à tout ce qui bouge...) mais le tout dégage une force, une fraîcheur et une envie totalement envoûtantes.

 

Née au Gabon en 1984, âme voyageuse, Maya MIHINDOU a su trouver dans Venusdea la collection qu'il lui fallait pour partager ses errances intérieures et les cristalliser en un bel objet au format carré et à la texture soyeuse qui avait attiré mon attention au Festival BD de Solliès-Ville il y a un an déjà.

 

Ne vous laissez pas rebuter par l'étrangeté qui se dégage de certains dessins et par l'aspect non-conventionnel de bien des pages : Sabine est un voyage ouvert à tous, où chacun apporte un peu de soi.

 

"Aussi longtemps que les hommes ne seront pas complets et libres assurés sur leurs jambes et la terre qui les porte, ils rêveront la nuit."

Paul NIZAN.

 

Champimages à voix basse

 

Sabine - Extrait 1

 

Sabine - Extrait 2

 

 



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1 septembre 2012 6 01 /09 /septembre /2012 08:17

Les vrais histoires de l'art - CouvertureIl est souvent des objets livresques un peu inclassables qu'on se retrouver à lire et à apprécier mais que l'on ne sait pas forcément étiqueter.

Joie de l'écriture sans limites et sans dogme, mais au moment du rubricage, il faut bien avouer que cela questionne...

Ne voulant pas ajouter de nouvelle rubrique à la longue liste déjà trop fournie de ma petite Tanière, je me vois donc dans l'obligation de sélectionner Les (vraies !) histoires de l'art dans la catégorie "Bandes Dessinées", ce qui n'est finalement pas si stupide, puisqu'il s'agit bien d'histoires en bandes (de 3 cases) qui ont été dessinées (au sens large du terme, j'en conviens).

Cela pourrait d'ailleurs être l'occasion de rouvrir le débat jamais tranché sur "qu'est-ce qu'une BD", mais vu que la profession ne s'est toujours pas accordée sur la question depuis plusieurs décennies, on doit pouvoir s'en passer.

 

Les (vraies !) histoires de l'art, c'est la vérité, toute la vérite, enfin la vérité sur l'origine des plus célèbres et des plus classiques chefs-d'oeuvre picturaux de l'histoire de l'art européen.


Pour le Cri, de MUNCH, crie-t-il ? A cause d'un coup de vent malheureux !

 

Pour Vincent (Van GOGH, bien sûr) a-til aussi bien rangé sa chambre ? Touchez-en deux mots à sa mère !

 

Pour ARCIMBOLDO a-t-il peint les Quatre Saisons de la sorte ? Jetez un oeil à la météo !

 

Au total, 23 tableaux ont vu leur mystère dévoilé par le malicieux Sylvain COISSARD, qui a remis au goût du jour le jeu du "avant/après", en imaginant le "pendant" humoristique de la chose. Il aurait presque fallu présenter chaque "histoire" page par page pour laisser au lecteur le soin d'imaginer, à partir du "avant", comment on allait en arriver au "après"...

Aux pinceaux, Alexis LEMOINE, qui a dû longuement jouer de la palette graphique et du logiciel de retouche d'image, retrouve les styles, les genres et les tics de près de 20 artistes ayant exercé du XV° au XX°s.

 

Beau voyage dans l'art et le temps qui, en réintroduisant un peu d'humour là où s'était installée la monotonie d'un certain classicisme, redonne envie d'aller voir ces chefs-d'oeuvre, et pourquoi pas d'appliquer à leurs voisins un traitement similaire. Histoire (vraie !) de...

 

Champimages qui jouent avec l'histoire.

 

Les vrais histoires de l'art - Extrait 1

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30 août 2012 4 30 /08 /août /2012 14:48

Portugal - CouvertureEntre été et rentrée, K-BD a décidé de se pencher sur des tranches de vie sur papier.

Entre deux tons et de saison, Portugal fait partie de la sélection. Belle occasion pour moi de sauter sur ce pavé manqué à sa sortie.

En route...

 

Portugal, c'est un voyage au pays des voyages.

Celui de Simon, encore enfant, avec ses parents, pour retrouver une famille bruyante et peu assortie. Un accent chantant, méditerranéen, sort par une fenêtre, entre deux éclats de voix. Son père, mutique comme souvent, fume en silence sur la terrasse. "Mais qu'est-ce que tu veux que je dise..."

 

Celui de Jean, ce silencieux fumeur caché derrière ses lunettes noires, qui retrouve son frère et sa soeur bien malgré lui pour le mariage de sa nièce, quelque part en Bourgogne. Il était si bien au boulot, à tout contrôler, noyé dans une dense activité pour ne pas penser.

 

Celui d'Abel, enfin, le grand-père, ouvrier portugais parti en France, avec son frère Manuel, et jamais retourné au pays, sans qu'on sache pourquoi. Glissant ainsi kilomètres et Pyrénées entre deux branches de la famille.

 

Celui de Simon, enfin (bis), devenu presque adulte, mutique comme son père et ayant perdu le goût de faire des livres.

 

Trois générations enfermées dans l'éloignement et l'errance, dans la fuite et le silence. Un simple voyage au Portugal suffira-t-il à les réunir, malgré le temps, la distance, la mort ?

 

C'est dans un festival de BD à quelques kilomètres de Lisbonne que tout commence vraiment. "Plus de vingt ans que je n'étais pas venu. (...) J'étais fasciné et heureux. Un vrai crétin. Et je me demandais bien d'où venaient cette étrange colère, puis cette douce mélancolie qui m'étaient tombées dessus sans crier gare en moins de 24 heures".

Les mots et les traits reviennent entre ruelles ensoleillées et musique des conversations.

"Je ne m'étais jamais senti aussi seul. Mais j'étais bien."

 

Tant pis pour la vie à deux lentement esquissée avec Claire, tant pis pour les projets professionnels proposés par des amis pour subvenir à ses besoins. L'avenir de Simon, caché quelque part dans le passé familial, doit passer par des retrouvailles, en Bourgogne, puis par un retour "aux sources".

 

 

Qu'il est difficile de présenter un récit-patchwork naviguant entre les époques et les générations !

Qu'il est délicat de ne pas tomber dans le cliché pour évoquer l'errance et le voyage intérieur, le héros (et l'auteur ?) cheminant aussi bien sur les routes que dans sa tête.

Et pourtant, il serait dommage de résumer Portugal à une série de clichés : récit intimiste, chronique familiale, carnet de voyage...  Cyril PEDROSA a mêlé tout cela avec une telle sincérité et un tel talent qu'on ne peut lui reprocher de manquer d'originalité.

 

Bien sûr, Portugal prend la forme d'un voyage initiatique à la découverte des siens, de son passé, et donc de soi-même. Mais plus qu'une ôde béate et convenue à la famille ou à la nostalgie, c'est avant-tout la mise en scène et en images brillante d'une quête, d'un pays, et d'une certaine âme.

Le lecteur a évidemment envie de savoir pourquoi Simon et les siens en sont là, mais il se fait vite rattraper par le simple plaisir d'errer dans les ruelles des villages, de s'arrêter sous un arbre ou au jardin, et de baigner dans les voix à la fois mystérieuses et cousines des Portugais.

Fidèle et méticuleux observateur du quotidien, l'auteur restitue, dans les cases ou par quelques extraits de ses carnets de croquis, les ambiances et les visages qui l'entourent en France et qui l'ont sans aucun doute assailli au Portugal. Postures, voix, bribes de conversations, décors composent un arrière-plan toujours cohérent, crédible, et jamais étouffant.

 

Cette subtilité se retrouve dans la délicatesse et la retenue qui animent les traits : ni trop ni trop peu, le bon équilibre entre ligne dense et ligne claire.

Le tout servi par une mise en couleur impeccable (en partie réalisée par RUBY, coloriste) qui confère à chaque scène une ambiance forte.

En prime, certains passages (oniriques, contemplatifs, introspectifs) bénéficient d'un traitement graphique différent qui leur confère originalité tout en conservant leur homogénéité avec le reste de l'album.

 

Mise à distance de sa propre vie, Portugal est sans doute également une mise en abyme de sa vie d'artiste par PEDROSA : Simon écrit, dessine, observe, et nous regarde l'espionner par-dessus son épaule.

 

Le récit est dense mais nous ménage souvent de larges plages graphiques dans lesquelles souffler, quitte à se noyer.

L'immersion est totale au Portugal car les dialogues sont restés en "v.o." pour le plus grand plaisir de notre oreille (oui, on peut entendre l'accent lusitanien avec les yeux !).

Et si le tout peut parfois paraître un peu long, comment aurait-il pu en être autrement pour évoquer tant de gens, tant de temps, et tant de rencontres ?

 

En plus d'être une belle histoire et une belle démonstration de variété graphique au service d'un récit, Portugal est une réelle incitation au voyage, qu'il soit introspectif, ou simplement au pays de nos cousins occidentaux des bords du Tage.

En route, donc.

 

Champimages en voyage.

 

Portugal - Extrait 2

 

Portugal - Extrait 1

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