Exercice de style... Essayons de filer la métaphore sportive pour parler
BD.
On pourrait dire que certains auteurs dessinent et créent comme des patineurs, avec une légèreté et une forme de grâce qui ne laissent toutefois que peu de traces sur la glace (assonances !).
Et il y a ceux qui, comme
Manu LARCENET, s'adonnent plutôt à la varape...
Mains nues, face à un interminable bloc, ils s'accrochent, forcent, suent, et la beauté qu'ils dégagent de la masse, tels des sculpteurs, jaillit de leur force et de leur douleur.
Avec
Blast,
Manu LARCENET nous offre un de ses plus beaux corps à corps avec la page et l'encre.
Le voilà sur les traces de
Polza MANCINI, énorme vagabond qui a fini par atterrir dans les filets de la police.
Assis, monolithique, face à deux inspecteurs, il entame le récit de son errance, de son étrange vie, et du "blast" qui, à plusieurs reprises, lui a permis de quitter ce corps difforme qui, depuis
l'enfance, a fait de lui un objet asocial plus qu'un individu.
Ce qui manque le plus souvent à une BD pour raconter l'errance, c'est le nombre de pages.
Heureuse époque qui voit les éditeurs accorder aux auteurs des paginations toujours plus étoffées pour leur permettre de brosser de telles vies.
En prenant le temps.
Le temps des regards, du vent dans les arbres, des oiseaux qui fixement attendent que la vie ou une proie passent.
Le temps du silence, aussi, silence de
Polza face à la nature, face aux hiératiques figures des "Moaï", face au corps décharné de son père mourant, face à l'ivresse qui lui permet de
s'évader.
Chaque rencontre le sculpte un peu plus,
Polza, le heurte, le poli, l'entame... Et cette "
Grasse Carcasse" (le titre de ce premier tome) prend peu à peu une nouvelle forme, comme
une renaissance.
Rarement
Manu LARCENET aura mêlé avec une telle force, à la fois tellurique et charnelle, ses différents styles graphiques.
De l'épure de certaines silhouettes ou visages à la noirceur minérale de certains paysages, en passant par les traînées et les taches qui dessinent des frondaisons que Jackson POLLOCK n'aurait pas
reniées, toutes les épaisseurs, toutes les noirceurs sont convoquées pour faire palpiter au plus juste chaque case.
Rugueuse, pesante, étouffante, l'errance de
Polza connaît à deux reprises la félicité du "blast", irruption inattendue de couleurs et de formes enfantines qui lui permettent d'accéder à un
autre niveau de conscience et de réalité.
Mais jusqu'où ira-t-il pour de nouveau connaître cette évasion...
A lire absolument, du plus profond.
Comme une voix grouillante remuant l'humus émotionnel enfoui quelque part en nous.
Champimages qui prennent au corps...